Serge Papin, l’ex-pdg du groupe Système U emprunte une citation de Pablo Servigne, chercheur et auteur de « Une autre fin du monde est possible » et de « Comment tout peut s’effondrer » pour apporter son regard de professionnel sur la transformation à venir du commerce. Aujourd’hui consultant après 12 années passées à la tête de Système U, Serge Papin n’a pas fait de grande école de commerce ou de management, mais il se targue de « bien comprendre son époque ». L’ex-dirigeant, dont l’enfance a été bercée par le commerce (ses parents étaient épiciers) a commencé sa vie professionnelle chez Intermarché comme manutentionnaire avec juste son BEP commerce en poche. Il prendra, quelques années et expériences professionnelles plus tard, la présidence de la centrale nationale du groupement coopératif Système U, avant de passer le relais à Dominique Schelcher. Toutes ces années au service de la grande distribution alimentaire en ont fait un observateur pointu du secteur et de sa transformation. Récemment invité a s’exprimer sur les nouveaux modes de consommation et nouveaux parcours d’achat lors d’une journée « 360Sale » organisée par Visiativ, Serge Papin raconte :
« Quand on ouvrait un magasin Unico de 400 m2 à Ploërmel sur le modèle des GMS des années 70, c’était l’aventure. Cela correspondait aussi à l’évolution de l’agriculture. Le modèle de la grande distribution était alors de donner accès aux produits de grande consommation pour consommer plus. Mais nous ne sommes plus dans ce modèle. La grande révolution de la société c’est « vive la ville ». Nous sommes aujourd’hui dans une transition permanente »
Pour mener à bien cette transition, les entreprises doivent imaginer le futur et dépenser des budgets qui n’existent pas. « Lorsqu’il s’agit de faire sa révolution numérique, où prendre l’argent ? Nous ne savons pas si le ROI sera là. Nous sommes en transition sociétale, climatique, numérique, etc », constate Serge Papin. Le rapport des millennials à la consommation traduit une forte inquiétude. « 30 000 étudiants ne veulent plus s’engager pour des entreprises « climaticides » », rappelle le consultant faisant référence au Manifeste Etudiant pour un Réveil Ecologique rédigé par des étudiants de plusieurs grandes écoles. Pour conserver leur leadership, les entreprises doivent prendre en compte cette nouvelle donne. « Une des clés du succès sera l’engagement de la marque, ce qui fera sa valeur. Et comme tout se passera désormais dans les 22 métropoles françaises, de plus en plus puissantes et dynamiques, il faudra aussi que les enseignes et les distributeurs se penchent sur de nouveaux concepts. Nous assistons au recul des hypermarchés et c’est un sujet difficile pour les marques. Comment s’incarner sur trois facings dans un format comme celui d’un Franprix ? ». Fidéliser plutôt que conquérir La typologie des consommateurs change. Les urbains, ces « individualistes grégaires» tels que les surnomme Serge Papin, remplacent les familles qui effectuaient leurs courses dans les grands hypermarchés et à partir de 2030, « nous serons tous seniors ». « A cette date la France va commencer à perdre sa population. Ce que nous avons connu, avec une taille de gâteau qui augmente, sera derrière nous. Il faudra penser fidélisation plutôt que conquête et créer de la valeur différemment ». Une des conditions du leadership sera aussi d’être éco-responsables. Sur ce point, le groupe Système U a pris une longueur d’avance, rappelle Serge Papin. « En 2005, lorsque nous avons lancé la marque U, j’avais demandé aux ingénieurs la liste des produits potentiellement dangereux. On m’a sorti 90 substances et cela n’a pas été simple pour la production. Mais nous avons gagné en leadership et la marque U s’est développée. Aujourd’hui elle pèse 50% des volumes et il n’est pas exclu que cela passe à 70% dans les années qui viennent ». Conséquence de cette montée en puissance des marques distributeurs, les marques industrielles n’ont pas d’autres choix que de se « retailiser », d’ouvrir elles-mêmes des magasins. « Nike est fournisseur et concurrent d’Intersport. Clarins ouvre ses propres boutiques. L’omnicanalité et le digital permettent de conquérir le client final par d’autres circuits ». Si les consommateurs deviennent « tous seniors, tous éco-responsables », ils sont également « tous connectés ». Un paramètre qui implique aussi la transparence. « On ne peut plus rien cacher » estime Serge Papin en donnant comme exemple le succès de l‘application mobile Yuka qui déchiffre rapidement les étiquettes alimentaires et, depuis juillet, celles des cosmétiques, et qui a passé la barre des 8 millions d’utilisateurs en janvier dernier selon ses fondateurs. Choisir son terrain de jeu « Paradoxalement, plus les gens sont connectés, moins ils sont reliés ». C’est aussi la question du modèle économique qui est posée. Faut-il que le consommateur attende que le produit arrive jusqu’à chez lui comme le propose Amazon ou miser sur une autre voie ? « La puissance d’Amazon nous oblige à choisir notre terrain de jeu. Chez Système U nous avons réuni les collaborateurs de la coopérative et opté pour les magasins. Mais il faut aussi augmenter notre niveau de jeu et ne pas se contenter de placer des produits sur des têtes de gondoles. Il s’agit de « ré-artisanaliser » pour que les courses redeviennent un plaisir. Un choix qui passe par le recrutement de bouchers, de cavistes, de bons professionnels… c’est plus difficile à mettre en place qu’une application digitale mais ensuite nous pouvons digitaliser les services du boucher autour d’une communauté. Il faut aussi former le personnel. Un beau concept ne suffit pas. Il s’agit de créer du lien, organiser des communautés et les faire adhérer aux valeurs de la marque », poursuit Serge Papin qui cite comme exemple le supermarché coopératif et participatif parisien La Louve qui, face à son succès, a créé une liste d’attente pour ses nouveaux coopérateurs. « Comme le dit Pablo Servigne, ceux qui coopèrent et réconcilient seront forts demain. Cette réconciliation touche les trois facettes de chacun d’entre nous, celle du consommateur qui réclame une offre de qualité, du client par l’expérience et la relation, du citoyen par le sens et la cause. Il faut aussi des vendeurs bien payés. Faire le choix du commerce physique nécessite d’aller jusqu’au bout, ne pas chercher forcément le plus, mais le mieux. Cela passe par des alliances, comme l’ont fait Système U et Carrefour, par des alliances digitales en mode open source, par des outils informatiques puissants. Plus le back office sera fort et plus le front sera adaptable. Enfin, il faut remettre l’humain au cœur de tout cela ».
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