Les règlementations en cours et à venir, l’arrivée de l’éco-score, obligent les entreprises du textile à mesurer leurs impacts environnementaux pour au final mieux assurer leur devoir de transparence et d’ information vis-à-vis des consommateurs. La tâche est immense mais les outils existent et des professionnels sont là pour les accompagner. Certaines marques comme Chloé ont déjà pris une longueur d’avance.
En 2021, Chloé devenait la première maison de luxe européenne à obtenir la certification B Corp, un label qui engage les entreprises à répondre à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public. La griffe du groupe de luxe Richemont a emprunté un chemin encore long qui oblige à «faire preuve d’humilité», a expliqué Christophe Bocquet, directeur qualité, sourcing responsable et traçabilité lors d’une table ronde sur le thème «Face au greenwashing : la preuve par la donnée», organisée par le salon du sourcing Première Vision. «A mesure que l’on tire le fil, les calculs sont de plus en plus complexes. Il s’agit davantage aujourd’hui de parler stratégie data et traçabilité que décarbonation». L’objectif est de savoir où sont fabriqués les produits et de mettre en place des règles pour afficher les matières recyclées, tout en embarquant les équipes y compris celles des boutiques dans les plans de transformation. «Nous croyons à l’amélioration continue. Il n’y a pas de limites», estime Christophe Bocquet.
La loi Agec en France prévoit dès 2024 un affichage apportant une information simple sur l’impact environnemental des vêtements est une première étape. «Une vingtaine de législations européennes sont en cours actuellement et il y en a d’autres comme la directive européenne CSRD ou Corporate Sustainability Reporting Directive (visant à harmoniser les reportings de durabilité des entreprises et à améliorer la disponibilité et la qualité des données publiées, ndlr) qui va concerner 50 000 entreprises de l’UE en 2024», énonce Antoine Gillod, directeur de l’Observatoire mondial de l’action climat.
Former les équipes développement et design
Chez Chloé, la démarche a commencé en 2019 avec un premier bilan carbone. «Nous avons vite compris que tout se situait au niveau des matières premières, du Scope 3, et qu’il fallait donc travailler sur les pratiques agricoles pour mieux les comprendre et essayer de les influencer. Cela peut paraitre très éloigné des défilés de mode ! Nous avons commencé par qualifier des pratiques d’impact réduit par rapport aux matières conventionnelles, nous nous sommes appuyés sur des certifications existantes pour former les équipes développement et design, nous avons sensibilisé l’ensemble de l’entreprise sur l’atteinte de ces objectifs, mis des données dans nos systèmes d’information». Pour favoriser la transparence, la griffe a lancé le projet Chloé Vertical qui révèle le chemin de production du vêtement, du champ au produit fini. L’initiative introduite sur la collection printemps-été 2023, comprend un système de passeport numérique pour retracer le parcours des produits et offre également l’accès à un certificat de propriété ainsi qu’à des informations détaillées sur l’entretien et la réparation.
Des données structurées et dynamiques
Parce qu’il faut bien commencer par un bout et apprendre, la griffe s’est d’abord concentrée sur ses collections capsules, sur les articles en cuir ou en lin, par exemple, et elle a pu remonter la filière jusqu’aux fermes. Les fournisseurs et fabricants partenaires ont été impliqués à chaque étape du projet. «Il faut retravailler sa supply chain, chercher toutes les données à la main au départ car nous ne bénéficions pas d’une traçabilité complète comme dans l’alimentation», poursuit Christophe Bocquet. Mais ces données qui alimentent les systèmes doivent aussi être sans cesse vérifiées et améliorées. «Il faut qu’ils soient bien alimentés et il faut des tiers extérieurs pour les vérifier», estime le professionnel. L’autre point important est de rendre ces datas dynamiques afin de permettre à l’entreprise de piloter sa performance en temps réel. «Ce sont des sujets clé».
Les solutions existent avec notamment les PLM (Product Lifecycle Management ou Gestion du cycle de vie du produit) qui se transforment, collaborent avec d’autres systèmes. Christophe Bocquet cite ces filières qui se structurent avec la blockchain pour digitaliser l’ensemble des certificats, des labels, dès la production des matières. «Il y a des beaucoup de beaux outils qui existent pas seulement pour la « sustainibility » mais pour une meilleure gestion des stocks, de la production..» Il s’agit d’aller plus loin dans la collaboration interentreprises, d’échanger sur les bonnes pratiques en matière de structuration de la donnée notamment et de savoir qui en a la charge dans l’entreprise entre l’industriel, la production, la «sustainability» ou encore la «compliance».
Comment ensuite communiquer ces informations aux clients ? La première collection Chloé Vertical, disponible en avril dernier 2023 en boutique et sur Chloe.com, permet aux clients de scannez le QR code des articles pour découvrir leur provenance. D’autres supports pour communiquer existent comme les labels. Mais la griffe de mode qui se sert de ces certifications pour le choix de ses matières et de ses fournisseurs, ne souhaite pas associer son nom à ces diverses appellations. «Nous regardons de près les applis et suivons certains acteurs», affirme Christophe Bocquet, qui s’interroge néanmoins sur leur transparence. Le professionnel prône une réglementation qui «soit la même pour tout le monde».
Pouvoir comparer les produits
Pour les petites marques et PME qui sous-traitent leur productions à l’étranger et qui n’ont pas les moyens d’investissement des grands groupes pour parvenir à calculer cet éco-score, des initiatives se lancent de toute part. Le gouvernement a ainsi développé le projet Ecobalyse (ex-Wikicarbone). Le but est de faciliter la mise en place de l’affichage environnemental (consistant à estimer l’impact environnemental global d’un produit sur l’ensemble de son cycle de vie et sur plusieurs indicateurs environnementaux) grâce à un outil de calcul en ligne open-source. «Nous sommes une équipe de huit personnes avec des profils data, analyse cycles de vie des produits, chefs de projets alimentaires et chefs de projets textile. Nous travaillons avec les marques, avec les quelques industriels qui restent en France et fournisseurs à l’étranger pour comprendre quelles sont les données exploitables par les marques et qu’elles maitrisent aujourd’hui. Il se trouve qu’elles sont très faibles : le poids du vêtement, sa composition, le pays de confection… », raconte Alban Fournier, responsable produits Ecobalyse.
L’affichage environnemental apporte beaucoup plus de complexité sur ces données à prendre en compte dans une optique d’analyse du cycle de vie des produits (ACV). «L’affichage environnemental doit trouver un moyen d’évaluer des produits en première approche (sans certaines données qui ne sont pas maitrisées par les marques, par exemple liées à l’ennoblissement et au choix des matières), puisqu’il faut que ce soit accessible par les marques. Nous travaillons sur ce sujet», ajoute Alban Fournier. La structure cherche à définir des scénarios moyens, par défaut, pour permettre aux marques et aux consommateurs in fine de pouvoir comparer les produits. Elle construit sa méthodologie en partant du socle PEF (Product Environmental Footprint ou Empreinte environnementale de produit), un référenciel européen toujours en construction et n’hésite pas à intégrer des correctifs et des compléments comme sur des sujets mal pris en compte de manière quantitative, comme l’impact des micro-fibres qui ne sont pas intégrées aujourd’hui dans les référenciels des analyses de cycles de vie européen.
Adopter le même langage
Cette question d’harmonisation des standards, d’adoption d’un même langage pour se comparer sont de véritables enjeux pour avancer. «Nous pouvons tout traduire en CO2 mais ce n’est pas si simple car pour le faire on a besoin de méthodologie, de standards de vérification et de validation. Tout cela fait l’objet d’un vaste écosystème qui essaie de les affiner dans un cadre privé. S’ajoutent à cela des législations françaises et européennes », explique Antoine Gillod. La mesure des gaz à effet de serre passe actuellement par la méthodologie la plus communément admise avec les Scopes 1, 2 et 3, qui permettent de suivre des évolutions dans le temps, de comparer et d’agréger les données. «Connaitre le véritable impact du secteur textile aujourd’hui sur les gaz à effet de serre serait intéressant. De multiples études existent et donnent des chiffres différents qui varient de un à quatre. Et là je ne parle que du climat», observe Antoine Gillod.
«La directive CSR (Corporate social responsibility ou Responsabilité Sociale des Entreprises) avec les critères d’évaluation adoptés fin juillet doit permettre d’adopter le même langage au niveau communautaire mais nous avons pu constater en étudiant un échantillon au sein de Paris Good Fashion (association qui fédère plus d’une centaine d’acteurs professionnels, ndlr) que les entreprises avaient beaucoup de mal à exprimer ce même langage ». La crédibilité d’une entreprise qui veut faire un affichage environnemental repose pourtant en grande partie sur «sa capacité à tenir dans le temps des standards d’évaluation et de mesure, qui soient crédibles, robustes et vérifiés par des tiers. L’idée est aussi de montrer que l’on s’aligne sur les standards les plus reconnus internationalement».
Une meilleure compréhension de sa chaîne de valeur
Face à ces problématiques aussi complexes que changeantes, les entreprises doivent se faire accompagner, car les compétences manquent le plus souvent en interne. Chez Chloé ce sont les équipes sourcing, achat, qui connaissent les fournisseurs, qui sont à la tâche et la griffe s’appuie aussi sur les data scientists de prestataires externes. Les entreprises doivent se mettre en ordre de marche. Le temps presse. L’affichage environnemental ou éco-score, issu de la loi Climat et Résilience de 2021, devra figurer sur les produits textiles et alimentaires en janvier 2024. C’est aussi une opportunité «de repenser et d’avoir une meilleure compréhension de sa chaîne de valeur», estime Antoine Gillod.
«Il y a beaucoup d’outil d’éco-design dans le textile pour créer les produits, pour faire des choix. C’est très sérieux. Le bricolage est fini. Beaucoup de gens comme Carbone 4 ( cabinet de conseil indépendant fondé en 2007 par Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici, ndlr), travaillent sur ces sujets et on est en avance. Il y a aussi une dynamique de groupe. Il faut le faire avec plusieurs entreprises. Nous avons la chance de participer à des groupes comme Paris Good Fashion, d’être prêts à se confronter à d’autres. Expliquer ses méthodologies permet d’aller plus loin. La marche est haute mais nous avons les piolets pour y arriver», affirme Christophe Bocquet.
Je souhaite lire les prochains articles des Clés du Digital, JE M’INSCRIS A LA NEWSLETTER
Laisser un commentaire