McKinsey incite les entreprises à imaginer leur prochaine normalité

Temps de lecture : 8 minutes

comportements de consommation dans le monde @clesdudigitalDans un rapport publié début août, McKinsey and Company livre ses dernières observations en matière de comportements de consommation dans le monde et apporte des conseils aux dirigeants d’entreprises pour qu’ils construisent un nouvel avenir. Selon le cabinet international, les détaillants et les fabricants de biens de consommation ont l’énorme responsabilité – et l’opportunité – de se réinventer et de ré-imaginer leur prochaine normalité.

Les chefs d’entreprise réfléchissent désormais à des mesures stratégiques à long terme, d’autant plus que la « prochaine normalité » semble radicalement différente de l’avenir qu’ils avaient prévu au début de l’année 2020. « Pour les fabricants de produits de grande consommation et les entreprises de vente au détail, l’impact de ces événements qui ont bouleversé le monde n’a pas été uniforme. Certaines entreprises ont été parmi les plus durement touchées, subissant des baisses massives de leurs ventes et licenciant des milliers d’employés pendant les fermetures, tandis que d’autres ont été confrontées à des pics de demande sans précédent et ont dû rapidement augmenter leurs effectifs. Entre-temps, les tendances se sont accélérées à un rythme qui, jusqu’à récemment, était inimaginable ; des changements qui auraient pu prendre une décennie se sont plutôt produits en quelques jours », observent les consultants du cabinet McKinsey and Company qui viennent de publier début août un vaste rapport intitulé « Perspectives on retail and consumer goods ». Les livraisons pour les ventes en ligne ont ainsi enregistré une augmentation en huit semaines identique à celle qui leur avait pris dix ans auparavant. En Chine, 250 millions d’étudiants se sont connectés à leurs cours en seulement deux semaines. Et McKinsey cite aussi le boom de la visioconférence ou l’arrivée de Disney+ sur le marché du streaming qui a réalisé en cinq mois ce qui a pris sept ans à Netflix.

Les employés aideront à aller de l’avant

McKinsey mène des enquêtes régulières auprès des consommateurs dans le monde entier pour analyser l’impact du COVID-19. Dans ce rapport (de 210 pages), il prend aussi le pouls de grands dirigeants. Interrogé par les consultants, Nick Vlahos, le pdg de The Honest Company, une entreprise de produits biologiques pour les enfants et pour la maison lancée en 2012 par l’actrice Jessica Alba, raconte ainsi comment il a introduit 50 nouveaux produits, dont plusieurs en réponse au COVID-19, axés sur la désinfection et comment il a redoublé d’efforts en matière d’innovation, en mettant aussi l’accent sur l’importance de l’omnicanal, sur l’accessibilité et sur la formation de ses employés avec la Honest University et ce, afin qu’ils puissent tout savoir sur ces lancements et qu’ils deviennent des ambassadeurs de la marque.

Le Français Hubert Joly, ex pdg de Best Buy, a rappelé pour sa part le rôle du dirigeant pendant cette crise qui doit être un leader et gouverner aussi avec son instinct et son intuition sans vouloir atteindre la perfection. « Pouvoir dire : « Je m’appelle Hubert et j’ai besoin d’aide » est un bon exercice qui donne de bien meilleurs résultats. (…) Méfiez-vous donc de la notion de perfection. Pour moi, l’une des leçons de cette crise concerne la façon dont nous définissons la performance. Nous vivons une époque où notre performance en tant que dirigeant n’est pas définie par le cours de nos actions ou par nos prévisions de bénéfices. Elle sera mesurée par la façon dont nous traitons nos employés, nos clients et nos communautés. En 1940, Winston Churchill a parlé de l’heure de gloire de la Grande-Bretagne. Cette crise peut être notre heure de gloire en tant que dirigeants, mais elle exige que nous nous posions quelques questions, notamment : prenons-nous le temps, d’abord, de prendre soin de nous-mêmes ? Cela signifie qu’il faut parfois appuyer sur le bouton pause et être clair sur la manière dont nous voulons diriger. La deuxième question est la suivante : quelles sont les actions que nous entreprenons et qu’est-ce qui les motive ? Je suis inspiré par de nombreux exemples d’entreprises qui prennent soin de leurs employés, qui ne les licencient pas mais les mettent peut-être en congé. En Europe, elles ont mis en place des mesures qui permettent aux employés de rester salariés, avec des subventions publiques. Les employés nous aideront à aller de l’avant. Je pense que cette crise va accélérer le mouvement vers la nécessaire refondation de l’entreprise et du capitalisme, autour de la raison d’être et de l’humanité, et je veux être partie prenante de ces redressements : clients, employés, partenaires fournisseurs, communauté et actionnaires ».

Des intentions de dépenses inférieures aux niveaux d’avant la crise

Dans un avenir encore incertain, les sujets prioritaires des dirigeants portent désormais sur la reprise. Mais dans les pays qui ont partiellement rouvert, l’optimisme des consommateurs reste mitigé et les intentions de dépenses sont toujours inférieures aux niveaux d’avant la crise. Dans la plupart des 45 pays interrogés par McKinsey, la confiance dans la reprise économique a légèrement baissé depuis le début du mois d’avril. Les consommateurs en Chine et en Inde restent plus optimistes que leurs homologues dans le reste de l’Asie, en Europe ou aux États-Unis. Nombreux sont ceux qui pensent que le virus aura un impact négatif sur leurs finances et leur quotidien pendant au moins quatre mois supplémentaires. Dans cette période prolongée d’incertitude financière, ils ont l’intention de continuer à réorienter leurs dépenses vers les produits de première nécessité, comme l’épicerie et les articles ménagers, et de réduire la plupart des catégories discrétionnaires. En France, 26% des personnes interrogées (entre le 15 juin et le 15 juillet 20) déclarent « devenir plus attentif à la façon dont je dépense mon argent ». Ce pourcentage atteint 40% aux États-Unis, 44% au Royaume-Uni, 34% en Allemagne, 45% en Espagne et 40% en Italie. Vingt pourcent des Français indiquent également « Passer à des produits moins chers pour économiser de l’argent » (contre 31% pour les États-Unis, 32% pour le Royaume-Uni, 22% en Allemagne,  18% en Espagne et 30% en Italie).

comportements de consommation dans le monde @clesdudigitalNouvelles habitudes d’achat

Globalement les consommateurs mondiaux prévoient de réduire leurs dépenses dans toutes les catégories de produits (excepté l’épicerie). La plupart ont connu une croissance de plus de 10 % de leur clientèle en ligne pendant la pandémie et de nombreux consommateurs disent qu’ils vont continuer à faire des achats en ligne même lorsque les magasins physiques rouvriront. En Chine, où le taux d’achats en ligne était déjà élevé, si le nombre de consommateurs sur Internet ne devrait pas augmenter de manière substantielle, la part des dépenses devrait croitre. D’autres services numériques et sans contact, tels que la collecte et la livraison en point relais et le drive qui connaissent également des taux d’adoption beaucoup plus élevés et les livraisons à domicile devraient être davantage adoptés. Les ruptures dans la chaîne d’approvisionnement pour certains articles ont également provoqué des changements de comportements et mis à mal les politiques de fidélisation. « De nombreux consommateurs ont essayé une autre marque ou ont fait leurs achats dans une autre enseigne pendant la crise. En Chine et aux États-Unis, 75 % ou plus des consommateurs ont déclaré avoir essayé un autre mode d’achat (59% en France). Ces changements influenceront les habitudes des consommateurs au-delà même des effets de la crise sanitaire ».

Si la prime à l’achat va aux détaillants qui appliquent des mesures de sécurité visibles, telles que le renforcement du nettoyage et des barrières physiques, les consommateurs achètent aussi davantage auprès d’entreprises et de marques qui ont des emballages sains et hygiéniques et qui se soucient de leurs employés. « En ces temps difficiles, les consommateurs sont de plus en plus conscients de la manière dont les entreprises interagissent avec les parties prenantes, les communautés locales et la société en général. Les mesures prises par les entreprises durant cette pandémie resteront probablement dans les mémoires longtemps après la conquête de COVID-19 ».

Dans la plupart des pays, plus de 70 % des personnes interrogées ne se sentent pas encore à l’aise pour reprendre leurs activités « normales » en dehors du domicile. Pour plus des trois quarts des consommateurs qui ont adapté leur comportement en raison de la crise sanitaire, l’assouplissement des restrictions gouvernementales ne sera pas suffisant. Ils attendront plutôt les conseils des autorités médicales, l’assurance que des mesures de sécurité sont en place et la mise au point d’un vaccin et/ou de traitements. « Alors que le monde commence à pivoter lentement de la gestion de la crise COVID-19 à la reprise et à la réouverture des économies, il est clair que la période de blocage a eu un impact profond sur la façon dont les gens vivent. La période de contagion, d’auto-isolement et d’incertitude économique va changer la façon dont les consommateurs se comportent, dans certains cas pour les années à venir. Les nouveaux comportements des consommateurs couvrent tous les domaines de la vie, de la façon dont nous travaillons à la façon dont nous faisons nos courses et à la façon dont nous nous divertissons ».

Un choc économique mondial sans précédent pour l’industrie de la mode

Les entreprises devront s’adapter rapidement et les défis à relever concernent de multiples dimensions selon McKinsey qui émet plusieurs hypothèses pour l’avenir et pour ces changements de comportements qui pourraient se maintenir ou se dissiper (voir graphique). Enfin dans certains secteurs plus que dans d’autres, la crise sanitaire aura provoqué un choc économique mondial sans précédent. Dans l’univers de la mode par exemple, McKinsey estime que les revenus annuels de l’industrie se contracteront de 27 à 30 % en 2020 et qu’elle pourrait retrouver une croissance positive de 2 à 4 % d’ici la fin 2021. « Nous prévoyons la faillite d’une grand nombre d’entreprises mondiales du secteur dans les 12 à 18 prochains mois. C’est en partie dû à la situation difficile dans laquelle se trouvaient déjà de nombreux acteurs avant la pandémie : la rentabilité du secteur s’est constamment détériorée au cours des huit dernières années. Seules 44 % des entreprises de mode mondiales ont généré des bénéfices en 2018 ».

Les enquêtes de McKinsey menées à la mi-mai, montrent une baisse de 40 à 50 % des intentions d’achat dans les catégories de la mode chez les consommateurs européens. Le commerce électronique qui a été « une bouée de sauvetage » sans toutefois compenser les pertes des magasins fermés, continuera à être essentiel pendant et après la période de reprise. La part des ventes en ligne d’articles de mode en Europe et en Amérique du Nord devrait augmenter de 20 à 40 % au cours des 6 à 12 prochains mois selon McKinsey. En avril, le trafic sur les sites web des 100 premières marques de mode a progressé de 45 % en Europe et en Amérique du Nord. « En Chine, le retour du trafic et des revenus hors ligne a été progressif : début mai, deux mois après la réouverture des magasins, les revenus ont baissé de 40 % dans les magasins de mode et de 30 % dans les grands magasins par rapport aux niveaux d’avant la COVID-19, tandis que les ventes en ligne ont continué à augmenter. Cela suggère qu’un certain pourcentage des ventes hors ligne pourrait migrer de façon permanente vers le commerce électronique ».

Les leaders du numérique (dans lesquelles les ventes en ligne représentent déjà 30 à 40 % des ventes totales, où certaines parties de la chaîne de valeur sont fortement numérisées et où les canaux en ligne et hors ligne sont intégrés dans une certaine mesure) ont aujourd’hui un avantage, mais pourraient rapidement le perdre si d’autres acteurs accélèrent leur transformation, estime McKinsey qui délivre de nombreux conseils aux entreprises. Celles-ci doivent aussi faire face à des stocks excédentaires pour les collections printemps/été 2020 dont la valeur a été estimée entre 140 et 160 milliards d’euros dans le monde (entre 45 et 60 milliards d’euros pour la seule Europe), soit plus du double des niveaux normaux du secteur. McKinsey garde cependant un brin d’optimisme : « Il est indéniable que la pandémie de COVID-19 rendra l’année 2020 difficile. Pour certaines entreprises de mode, même la survie peut être une lutte. Cependant, si elles mènent avec empathie et entreprennent des actions audacieuses dans le domaine du numérique et de l’analyse – notamment autour du commerce électronique, de la gestion des stocks basée sur les données et de la numérisation des fonctions clés – nous pensons qu’elles peuvent non seulement supporter la crise, mais aussi acquérir un avantage concurrentiel et renforcer leur activité pour une prochaine normalité omnicanale et centrée sur le numérique ».

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