La Tribune de Helene Behrenfeldt, responsable du secteur de la mode chez Infor
« Le secteur doit changer et se concentrer davantage sur un écosystème de services en phase avec notre époque, plutôt que de rechercher constamment de nouveaux produits. »
Les tendances de la mode sont devenues de plus en plus difficiles à identifier. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les collections et défilés sur le traditionnel « catwalk » qui donnent le ton pour l’année suivante, mais également les publications laissées trop souvent « au bon vouloir » des influenceurs et influenceuses les plus présents sur Instagram et Tiktok.
Aussi, les acteurs du secteur se trouvent-ils régulièrement soumis à un jeu des devinettes, auquel les acheteurs se trouvent eux-mêmes confrontés lors de leurs achats. Le fait de produire des vêtements et accessoires pour de futurs client·e·s dont on a du mal à anticiper la demande, constitue dès lors un défi évident avec des conséquences importantes qu’il vaut mieux tenter d’anticiper. McKinsey & Company estime, par exemple, que la surproduction dans l’industrie de la mode – à savoir la différence entre ce qui est planifié et ce qui est vendu – se situe entre 20 et 30 %. Concrètement, cela signifie qu’environ 92 millions de tonnes de vêtements sont jetés chaque année.
Considérée du point de vue de la durabilité, cette statistique a de quoi nous effrayer et, dès lors, il est important, voire urgent, d’envisager des alternatives. Pour réduire la surproduction, l’industrie de la mode doit impérativement essayer d’ajuster ses volumes de production et s’efforcer de prolonger la durée de vie de chaque produit, mais également se pencher sur une transformation de son modèle économique en l’orientant vers le service plutôt que vers le produit.
Dans cette perspective, le développement du «made-to-order», c’est-à-dire une mise en production correspondant à un enregistrement de commandes fermes, offre le moyen le plus évident de réduire la surproduction. L’idée est certes loin d’être nouvelle, le “sur-mesure” faisant intégralement partie de l’histoire de la mode. La différence aujourd’hui réside dans le fait que les technologies actuelles et futures rendent le processus beaucoup plus rentable, grâce notamment à l’impression 3D ou à l’IA qui permettent de personnaliser un produit à la demande, en fonction des desiderata de chaque consommateur.
Certaines entreprises mettent déjà en pratique cette approche d’individualisation des produits, car elle présente au moins deux avantages. D’une part, elle crée une valeur ajoutée pour le consommateur et, dans le même temps, elle peut limiter les stocks, sans pour autant restreindre les options qu’elle offre aux clients.
Toutefois, au-delà de ce constat, la modernisation du secteur ne doit pas s’en tenir au seul fait de produire les bons produits dans le bon volume. Elle passe aussi par davantage de services aux client·e·s pour favoriser une consommation plus responsable et plus durable. Certaines enseignes ont d’ailleurs déjà mis en place des initiatives concrètes allant dans ce sens, que ce soit en proposant des produits d’occasion, des réparations, de la location ou des services d’abonnements.
Ces initiatives sont toutes intéressantes, mais jusqu’à présent restent relativement limitées. Souvent, la stratégie qui les accompagne se focalise sur les aspects de fabrication, de vente et, dans le meilleur des cas, de prolongation de la durée de vie du produit. Or, elle devrait plutôt offrir aux consommateurs les outils nécessaires leur permettant de prendre la décision la plus importante : acheter ou ne pas acheter. La «servicialisation» de ce pouvoir ultime donné aux consommateurs marquerait ainsi un véritable pas en avant en la matière.
Dès 2026, de nombreux produits pourront être identifiés par un passeport numérique contenant des informations sur leurs origines, la composition des matériaux, la consommation d’énergie, le transport, l’empreinte climatique, etc. Ces informations seront facilement accessibles à chaque consommateur, chaque consommatrice, par le biais d’un QR code ou d’une puce RFID.
Mais là encore, ces informations ne constituent qu’une petite avancée par rapport à l’importance des enjeux auxquels les fabricants et enseignes de mode doivent répondre. Et il serait beaucoup plus utile et impactant que ceux-ci puissent permettre aux consommateurs de cartographier leurs achats, de prendre des décisions éclairées sur la base de modèles d’achat à plus large spectre et d’effectuer des achats plus « intelligents » d’un point de vue climatique.
Pourquoi, par exemple, ne pas offrir la possibilité aux acheteurs d’acquérir des articles sans émettre de carbone ? Ce service permettrait à chacun·e de savoir si, ou quand, un certain seuil d’émissions de dioxyde de carbone est dépassé. Les consommateurs pourraient ainsi être avertis que la valeur limite a été atteinte après leur dernier achat, ou qu’il leur est encore possible d’acheter d’autres articles, mais plus respectueux de l’environnement. Le même service pourrait proposer des alternatives aux nouveaux achats, permettant de louer le produit ou de l’acquérir d’occasion.
Les possibilités de contribuer sérieusement à une industrie de la mode plus durable, tout en créant de nouvelles sources de revenus, existent donc ! Le secteur doit se repenser, se concentrer sur un écosystème de services actualisés plutôt que de rechercher constamment à innover en termes de produits. Alors, l’industrie de la mode aura en partie réussi sa transformation vers davantage de modernité, en phase avec les problématiques et considérations de notre époque.
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