Les professionnels français de retour du salon new-yorkais Retail’s Big Show livrent leurs impressions et analysent les tendances de cette grand-messe des technologies et de la transformation digitale du retail.
De retour du salon Retail’s Big Show, organisé à New York du 15 au 17 janvier dernier, les professionnel français présents ont pu noter les bons chiffres du commerce outre-Atlantique. Avec une croissance à +5,32 % en 2023 par rapport à 2022, il apparait en bien meilleur santé que le marché européen, touché de plein fouet par l’inflation. «La mode, le bricolage souffrent un peu plus», rapportent Geoffroy Noël et Olivier Godart, directeurs associés chez Diamart Now qui viennent de dresser un bilan de leurs journées passées sur place. Avec plus de un million de magasins Outre-Atlantique qui pèsent 70% des ventes, la croissance devrait continuer en 2024.
Hormis ces chiffres enviés par le commerce en France où l’Insee note un recul de la consommation de biens de -1,6 % largement imputable à une nouvelle baisse importante de la consommation alimentaire des Français à – 4,7 % en 2023, les visiteurs dressent ce même constat : l’IA a été le sujet numéro un du salon. Il n’était plus question de Web 3 ou de NFT «à toutes les sauces», comme le souligne Nicolas Diacono, fondateur de Nincotech invité par La Retail Tech avec Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce, pour un focus sur ce salon. «Le digital product passport (ou passeport numérique des produits, ndlr) avec l’utilisation de la blockchain» restent cependant d’actualité. «Il y avait aussi une quinzaine de stands dévoilant des chariots connectés, sans qu’aucune enseigne dans le monde n’ait pour l’instant déployé ces parcs de caddies intelligents», comme l’a rappelé Mike Hadjadj co-initiateur de La Retail Tech et fondateur de Iloveretail.
Amazon ne maitrise pas les codes du retail physique et le montre
Parmi les autres nouveautés, ils ont noté le retour des éditeurs chinois cette année, l’initiative de Uber avec son service de livraisons en marque blanche « Uber Direct » proposé aux détaillants de toute taille, la maturité de la «computer vision» ou encore les ratés de Amazon Go. Si la technologie est maitrisée, la firme de Seattle a encore des progrès à faire pour devenir un commerçant physique, à commencer par savoir gérer ses stocks et ses approvisionnements. Les rayons vides de son libre-service, installé dans l’enceinte du Javits Center, en ont été «la preuve très visible», comme le fait remarquer Frank Rosenthal.
«Efficiency » ou efficacité opérationnelle, «supply chain», «retail media», «omnichannel» et «user experience», ont été les mots clé retenus par la Retail Tech qui a organisé pour ses adhérents sur place des visites de quelques magasins emblématiques dont le premier magasin Wegmans à Manhattan qui propose produits frais, viande, bar à sushis et poissons en provenance directe du Japon, et qui gère 1400 commandes e-commerce par jour. «Le contre-exemple de Amazon-Go» pour Frank Rosenthal. D’autres centres d’intérêts sont mis en exergue comme l’importance du marché des animaux domestiques (évalué à 40 milliards de dollars) investi par Petco, par Walmart, mais aussi par des pure-players comme Chewy, qui utilisent les cliniques vétérinaires comme leviers de fidélisation.
Pas nouveaux et pas toujours très utilisés, les services de personnalisation en magasin sont toujours proposés : en dix minutes chez Pimp My Shoes, par exemple, avec une borne et l’apport d’une photo, tandis que Lip Lab, le propose dans les moindres détails, de la matière des rouges à lèvres en passant par les couleurs jusqu’aux tubes. Les miroirs augmentés n’ont pas non plus dit leur dernier mot à l’instar de l’AR Mirror avec la technologie d’essayage virtuel de ZERO10 qui, en plus de fonctionner à l’intérieur des magasins, se met en vitrine. En matière d’expérience client, c’est le flagship de Swarovski qui a remporté tous les suffrages. Récemment ouvert sur la Cinquième Avenue, sur deux étages il dévoile «un monde d’extravagance joyeuse et de merveilles cristallisées», comme l’indique la maison sur son site. Un descriptif conforme à la réalité selon Nicolas Diacono et Frank Rosenthal, tous deux séduits par le merchandising coloré, surprenant et sans fausse note du lieu.
Le règne de l’IA
Du côté des exposants du Javis Center, «l’IA est partout», observent par ailleurs les deux consultants toute en rappelant les initiatives de Walmart dans ce domaine, que l’enseigne a davantage exposées cependant au salon CES de Las Vegas quelques jours avant. Le distributeur Walmart qui avait déjà choisi d’utiliser cette techno pour surveiller les niveaux des stocks et des rayons et l’avait présentée en 2019 dans concept store intitulé « The Intelligent Retail Lab » (IRL) à Levittown, dans l’état de New York, a noué un partenariat avec Microsoft pour créer de nouvelles expériences d’achat, comme automatiser le processus de commande d’articles fréquemment achetés. Le groupe britannique de supermarchés Sainsbury’s l’utilise (avec Blue Yonder) pour assurer notamment une meilleure disponibilités de ses produits et pour résoudre ses problèmes de démarque inconnue. «Toutes les annonces faites autour de l’IA sur le salon émanaient de Microsoft», observe Nicolas Diacono. «Plus de 25% des éditeurs parlent d’IA et plus d’un tiers des conférences y étaient consacrées», constatent pour leur part Geoffroy Noël et Olivier Godart de Diamart Now. «Beaucoup se sont renommés avec .IA ou .AI».
Selon le cabinet d’études de marché IDC, le secteur de la vente au détail se classe d’ailleurs deuxième parmi toutes les industries à l’échelle mondiale en ce qui concerne ses dépenses dans ces technologies d’IA et IHL Group révèle que les détaillants qui ont déjà adopté les technologies d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique (machine learning) enregistrent une croissance des ventes de 2,3 fois supérieures et des bénéfices de 2,5 fois à celle de leurs concurrents en 2023. Les technos tournent autour des magasins, de la reconnaissance d’image, des flux de données et de la capacité de l’IA à les analyser.
Des usages et des rentabilités diversifiées
L’IA oui, mais comment démarrer ? Si Carrefour ou Levi’s ont donné quelques recettes sur scène à New York, les responsables de Diamart Now rappellent l’importance de piloter une «data propre et gouvernée» et ils donnent la liste des nombreux usages de l’IA en matière de gains de productivité, d’engagement clients et de gains de pertinence et de précisions pour la gestion des assortiments, des prévisions des ventes. Pour les premiers, la techno agit surtout sur le front office : SAV, collaborateurs «data driven» recevant les bonnes infos au bon moment, création de contenus pour le SEO et le SEA, chatbots et personnalisation clients. «Il s’agit d’aller plus vite, de synthétiser les infos des concurrents avec le «web scraping» et le «social listening». «Ce dont on parle moins ce sont les usages pour le back office, l’automatisation des processus, la qualification des données et enfin comment centraliser les données au même endroit».
Mais si la techno est assez mature pour le front office, «les gains ne sont pas extraordinaires par rapport à ceux concernant les prévisions et la supply chain, même s’ils dépendent des secteurs d’activité», selon les professionnels. «Dans ces environnements de plus en plus digitaux avec des volumes de données en croissance pour entrainer les algorithmes, le Cloud moins cher, la facilité d’usage des LLM (large language models), l’IA générative explose». Elle n’est plus réservée aux grosses organisations avec des équipes de data scientists. «Aujourd’hui Google, Microsoft ont nativement embarqué la solution.»
Hormis Walmart qui va vite dans tous les domaines grâce à l’IA, Lowe’s mise sur des «digital twins» créant une réplique numérique interactive de son magasin (avec NVIDIA) pour que ses équipes visualisent les données, optimisent les opérations et la logistique et limitent les ruptures dans la chaine d’approvisionnement. Les dirigeants de Diamart Now citent aussi des éditeurs de middleware comme Snowflake qui sécurisent la data, comme Google et Microsoft qui ont intégré des agents dans leurs outils pour faciliter les cas d’usages. «Il faut commencer par traiter des petits sujets très précis avec l’IA, enlever des irritants», affirment les professionnels qui citent le cas de Floor & Decor qui grâce à un projet de data management aurait gagné 50% en rapidité de mise en ligne de produits .
L’audience du retail media plus forte que la télévision
«Il y a un engouement pour l’IA et beaucoup de techno en maturité qui commencent à produire de la rentabilité», analyse Samir Amellal, chief data officer d’Auchan, présent à la conférence de La Retail Tech et qui a également arpenté les allées du salon new-yorkais. «Le edge computing (cadre informatique distribué qui rapproche les applications d’entreprise des sources de données, ndlr) rend aussi les magasins plus résilients. Le cloud a fini par s’imposer et les réseaux sont moins encombrés». Enfin il remarque «moins d’écrans dans les magasins», même si le retail media est devenu «un sujet majeur». Lors du salon, Walmart a présenté le magasin comme un canal publicitaire au même titre que la télévision. Ce canal devrait connaitre un nouvel essor en 2024 avec une course à la normalisation des formats publicitaires et des mesures. «Cent quarante millions de clients par semaine font leurs achats dans nos magasins. C’est plus que ce que peut offrir n’importe quel réseau de télévision», a notamment déclaré Ryan Mayward, vice-président senior des ventes de médias de détail chez Walmart Connect, lors d’une table ronde.
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