Les marques du commerce et du e-commerce s’organisent face aux nouveaux défis de la donnée avec comme mots d’ordre : confiance, gouvernance et anticipation.
Dans un contexte d’accélération numérique, la gestion des données personnelles est au cœur des modèles économiques omnicanaux. Elle s’impose désormais comme un enjeu stratégique, tant pour préserver la confiance des consommateurs que pour garantir la conformité réglementaire.
Philippe Huyon, Data Protection Officer du groupe La Redoute et acteur actif de l’AFCDP (Association française des correspondants à la protection des données à caractère personnel), apporte un éclairage sur les pratiques en cours et les perspectives à venir dans le secteur.
Confiance client : un actif stratégique
La question de la donnée dépasse la simple conformité. «La confiance est pour moi le premier enjeu. Si les consommateurs ne se sentent pas en sécurité, ils n’achètent pas», affirme-t-il. La réputation d’une enseigne peut en effet être fragilisée par une fuite de data ou un usage jugé intrusif. Dans un marché où la fidélité est volatile, la capacité d’une marque à incarner un tiers de confiance est devenue centrale.
Cet enjeu de confiance s’inscrit dans un paysage ponctué par la multiplication des points de contact digitaux. Entre site web, application mobile, email, SMS et interactions en magasin, le parcours client génère une volumétrie croissante de données. Garantir une cohérence dans la protection des données sur l’ensemble de ces canaux nécessite une approche transverse, intégrant les équipes IT, marketing, juridique et produit.
Gouvernance : structurer pour mieux piloter
Chez La Redoute, la fonction DPO est pleinement intégrée. Bien que seul à occuper ce poste en France, Philippe Huyon s’appuie sur un réseau interne structuré de «key users» dans chaque département de l’entreprise, ainsi que sur des relais RGPD dans les filiales à l’étranger. Ce modèle décentralisé permet d’assurer un accompagnement métier au plus près des enjeux quotidiens. «Je ne suis pas un contrôleur, je suis un facilitateur. L’objectif est de faire avancer les projets dans le respect des règles du jeu», précise-t-il.
Cette logique de proximité se décline aussi dans la gouvernance de la donnée. Actuellement, La Redoute mène une refonte de sa plateforme data avec un travail approfondi de classification des informations. L’objectif est clair : limiter l’exposition inutile des données, encadrer les accès, tracer les usages, et appliquer les principes de minimisation, d’anonymisation ou de suppression quand cela est requis.

L’AFCDP, catalyseur de bonnes pratiques dans le retail
Acteur engagé de l’Association française des correspondants à la protection des données à caractère personnel (AFCDP), Philippe Huyon co-anime aujourd’hui le groupe régional Nord. Il y fédère une centaine d’adhérents, mêlant enseignes de retail, établissements de santé et administrations, autour de problématiques communes. Autre point d’attache, le groupe retail de l’AFCDP s’est structuré pour répondre à l’augmentation des cyberattaques ciblant ce secteur. «Il permet de partager des bonnes pratiques, de confronter les retours d’expérience, et de réfléchir ensemble à des stratégies concrètes», souligne-t-il. Ce travail collectif s’avère d’autant plus précieux dans un secteur soumis à une forte pression réglementaire et économique. L’AFCDP agit ici comme un espace de coordination et d’élévation des compétences, face à la complexité croissante des environnements numériques et juridiques.
Personnalisation versus intrusion : une frontière à clarifier
Le retail digital repose largement sur la personnalisation de l’expérience client, possiblement alimentée par la collecte fine de données comportementales. Si l’intérêt marketing est fort, la frontière avec l’intrusion peut être floue. Pour Philippe Huyon, tout dépend du type de données utilisées et du niveau de transparence offert. «Le consommateur peut refuser le profilage. Mais dès qu’on entre dans des logiques de « look-alike » ou de reciblage indirect, la perception peut devenir négative», explique-t-il. La complexité augmente avec la diversité des canaux : navigation sur site, géolocalisation en magasin, campagnes postales ou push mobiles. Des outils d’analyse éthique s’avèrent nécessaires pour évaluer la légitimité des traitements mis en œuvre, au-delà du seul critère du consentement.
Risques : la sécurité au-delà du SI
L’actualité démontre que les cyberattaques n’épargnent plus aucune enseigne. L’exposition permanente des systèmes d’information, la sensibilité des données collectées (identité, coordonnées, historique d’achat), et le recours à de nombreux sous-traitants augmentent les risques. «Ce n’est pas toujours l’enseigne qui est directement visée. Une faille chez un prestataire logistique peut avoir de lourdes conséquences», souligne Philippe Huyon. Le DPO rappelle également la menace croissante du « credential stuffing », cette pratique consistant à exploiter des combinaisons identifiant/mot de passe issues de précédentes fuites pour accéder à des comptes clients. À cela s’ajoutent de nouvelles formes d’attaques exploitant les chatbots ou les sessions ouvertes sur les navigateurs. Le maillon faible peut venir de l’extérieur comme de l’intérieur, rendant indispensable une politique de sécurité étendue et contractuellement encadrée.
Règlementation : vers un cadre toujours plus exigeant
Depuis l’entrée en vigueur du RGPD, les obligations des entreprises se sont densifiées. Le Digital Services Act (DSA), les futures règles européennes sur l’intelligence artificielle ou les initiatives sur la fin des cookies tiers modifient profondément la gestion du consentement et de la personnalisation. «Pour le moment, nous sommes encore en phase d’observation. Mais certains acteurs renforcent déjà leurs dispositifs pour anticiper», note le DPO. Dans ce contexte mouvant, l’AFCDP constitue un relais d’information et de réflexion apprécié des professionnels. Ses groupes de travail thématiques permettent d’évaluer collectivement les implications des nouvelles réglementations, tout en accompagnant leur mise en œuvre concrète.
Intelligence artificielle : construire une gouvernance collégiale
L’IA pose des questions inédites aux DPO, notamment en matière de transparence, de biais algorithmiques ou d’apprentissage non maîtrisé. À La Redoute, les projets restent modestes, mais la vigilance est de mise. «La gouvernance de l’Intelligence artificielle ne peut pas reposer sur une seule personne. Il faut des comités multidisciplinaires pour définir ce qui est autorisé ou non», insiste Philippe Huyon. En lien avec le groupe IA de l’AFCDP, des réflexions sont menées sur la structuration d’une gouvernance adaptée, intégrant le DPO, le RSSI, les responsables data et les directions métiers. Objectif : établir des lignes directrices internes, éviter les usages non contrôlés, et sensibiliser les équipes aux risques associés.
Formation et culture data : des leviers encore fragiles
Autre préoccupation majeure des retailers, si les principes de « privacy by design » (protection de la vie privée dès la conception de la technologie) sont bien connus, leur implémentation reste complexe. «J’ai testé plusieurs versions de questionnaires, sans trouver encore la bonne formule. Il faut un langage accessible, sans jargon juridique», admet Philippe Huyon. Un questionnaire simplifié, accessible via l’intranet, est en cours de déploiement pour renforcer la prise en compte du RGPD dans les projets dès leur lancement. Le DPO plaide aussi pour des relais métiers formés et responsabilisés, capables d’anticiper les problématiques de données sans attendre l’intervention du juridique. Car au-delà des outils, c’est bien une culture de la donnée responsable qui doit infuser progressivement dans l’organisation.
Vers une data éthique et durable
Alors que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à la manière dont leurs données sont utilisées, le retail n’a d’autre choix que de renforcer la maturité de ses dispositifs. La donnée n’est pas qu’un levier marketing : elle est aussi un facteur de réputation, de conformité et d’innovation. Pour Philippe Huyon, l’avenir du DPO passe par la transversalité et la montée en compétences. «L’IA va s’imposer à nous. Il faudra être prêt, collectivement.» Dans un environnement où l’agilité technologique doit s’accompagner de rigueur éthique, c’est bien la gouvernance qui fera la différence.
Prochain cap : de la conformité à la confiance renforcée
Le secteur du retail se trouve à la croisée des chemins : entre réglementation renforcée, attentes sociétales accrues et accélération technologique, il doit revoir sa manière de collecter, traiter et sécuriser la donnée. La protection des données personnelles ne peut plus être perçue comme une contrainte. Elle constitue désormais un pilier de la relation client et un avantage concurrentiel pour les enseignes qui sauront l’intégrer pleinement dans leur stratégie — avec, en appui, des réseaux professionnels comme l’AFCDP pour construire une culture de la donnée partagée et durable.
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