Selon une étude de chercheurs allemands en marketing, management et systèmes d’information, l’accélération des fermetures de magasins dans le contexte de la transformation numérique bouleverse les modèles économiques du commerce. Face à la compétition croissante des plateformes en ligne, les magasins physiques doivent miser sur leurs atouts pour rester pertinents.
Selon une nouvelle étude scientifique publiée dans le Journal of Retailing par les chercheurs allemands en marketing, management et systèmes d’information, Ann-Kristin Kupfer, André Marchand et Thorsten Hennig-Thurau, environ 80 000 magasins aux États-Unis pourraient fermer d’ici 2026, soit un quart des centres commerciaux. Une tendance similaire est observée en Allemagne, où le taux de fermeture atteint 4,3 % et pourrait grimper à 5 % dans les prochaines années. Au Royaume-Uni, selon le Center for Retail Research (CRR), l’année 2024 s’est achevée avec la fermeture d’environ 13 500 magasins, soit une hausse de 28 % sur un an. Ces chiffres préoccupants témoignent d’une mutation profonde du secteur. Pourtant, cette transformation numérique, bien que déstabilisante, recèle des opportunités stratégiques pour réinventer le commerce physique.
Le digital comme moteur de transformation
L’étude souligne que les enseignes offrant une expérience client enrichissante, notamment grâce à une ambiance accueillante et immersive, voient leur risque de fermeture diminuer significativement. En revanche, les commerces spécialisés dans des produits trop spécifiques ou pratiquant des prix très bas peinent à maintenir leur rentabilité. Ces stratégies, bien qu’attirantes pour certains clients, ne suffisent pas à compenser les coûts élevés liés à l’exploitation d’un magasin physique.
«Les consommateurs valorisent toujours les interactions physiques, mais ils attendent une accessibilité et une flexibilité proches de ce que propose le commerce en ligne», notent les auteurs. Par exemple, près de 40 % des clients déclarent privilégier les enseignes proposant des horaires étendus ou une complémentarité avec des solutions numériques.
Comprendre les facteurs de succès et définir des stratégies adaptées
Les grandes surfaces, grâce à une meilleure répartition des coûts et une capacité à attirer un flux constant de clients, enregistrent un taux de survie supérieur à celui des petits commerces. En parallèle, les magasins affiliés à des chaînes bénéficient d’une résilience accrue, leur permettant de mutualiser les ressources et d’investir dans des initiatives omnicanales. Selon l’étude, les enseignes en centre-ville, bien que bénéficiant d’un emplacement stratégique, doivent affronter des défis majeurs, notamment la baisse de fréquentation et la montée en puissance du e-commerce. Dans certaines zones urbaines, le taux de vacance commerciale en Allemagne dépasse désormais 15 %, un chiffre préoccupant pour l’attractivité locale.
Pour répondre à ces défis, les experts recommandent de diversifier les offres et de renforcer l’attractivité par des initiatives d’«affinité» ou culturelles. Des exemples concrets incluent l’organisation d’événements en magasin ou la collaboration avec des artistes locaux pour attirer une clientèle variée.
Le rôle des produits et de l’expérience client
Dans le secteur des biens culturels, les magasins proposant des produits de niche, comme des éditions limitées, se révèlent paradoxalement plus vulnérables. En revanche, les enseignes d’habillement misant sur des collections variées et des espaces permettant une interaction tactile séduisent davantage les consommateurs. Ces derniers recherchent des expériences que le digital ne peut reproduire : tester un produit, bénéficier de conseils personnalisés ou simplement profiter d’une ambiance unique.
«Les magasins physiques peuvent survivre en exploitant leur capacité à offrir des éléments que le commerce en ligne ne peut pas reproduire : une expérience sensorielle et humaine», affirme l’étude. Un commerce proposant un environnement agréable et immersif voit ainsi son risque de fermeture baisser de 22 % par rapport à un concurrent standard.
Par ailleurs, les technologies numériques, comme les QR codes ou la réalité augmentée, permettent de personnaliser les offres en temps réel. Ces innovations favorisent non seulement une meilleure interactivité, mais augmentent aussi les ventes de manière mesurable. À titre d’exemple, une enseigne ayant introduit des solutions de réalité augmentée a constaté une hausse de 15 % de son chiffre d’affaires en un an.
Un modèle hybride pour l’avenir
Pour surmonter les défis liés à la transition numérique, les commerces physiques doivent adopter une stratégie hybride combinant les avantages du digital et du présentiel. Proposer des horaires prolongés, intégrer des options d’achat en ligne et offrir des interactions personnalisées en magasin figurent parmi les solutions les plus efficaces. Par exemple, 65 % des consommateurs déclarent être plus enclins à visiter un magasin physique s’ils peuvent vérifier la disponibilité des produits en ligne au préalable.
Les décideurs locaux jouent aussi un rôle clé. Des mesures incitatives, telles que des réductions fiscales ou des subventions pour les commerces locaux, peuvent contribuer à revitaliser les centres-villes. En parallèle, des initiatives comme l’aménagement d’espaces verts ou la création de zones piétonnes renforcent l’attractivité des zones commerçantes.
La transformation comme opportunité de croissance
L’évolution des comportements d’achat offre une opportunité unique pour repenser les liens entre enseignes et consommateurs. L’essor de l’omnicanalité permet aux entreprises de diversifier leurs canaux pour capter une audience plus large. Des collaborations entre marques établies et startups technologiques peuvent, par exemple, accélérer l’introduction de concepts innovants, tels que les magasins sans caisse ou les pop-up stores.
Un cas notable est celui de centres commerciaux transformés en espaces multi-activités, mêlant commerce, restauration et loisirs. Ces modèles enregistrent une augmentation de la fréquentation de 20 % en moyenne. En investissant dans des formats novateurs, les enseignes peuvent non seulement s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs, mais aussi transformer une menace en levier de croissance durable.
En France, les réseaux de magasins résistent
Les fermetures de magasins physiques révèlent l’impact profond de la transformation numérique sur le commerce. «Investir dans des attributs uniques aux magasins physiques et réduire les frictions d’achat sont des clés pour l’avenir», conclut l’étude. Ces changements ouvrent la voie à une réinvention profonde. Une stratégie valable aussi en France, même si le paysage commercial et les perspectives en matière d’immobilier commercial diffèrent de ses voisins allemand ou britannique.
Selon la fédération du commerce spécialisé Procos qui a présenté une étude à l’occasion du salon Mapic de l’immobilier commercial, les réseaux cherchent ainsi à poursuivre les ouvertures de magasins en France même si le rythme est faible. Près de cent enseignes de 10 à plus de 1 000 points de vente ont répondu à son enquête sur les ouvertures de points de vente en France en 2024 mais également les fermetures, les transferts et les rénovations de magasins. Même si nombre d’entre elles ont connu des défaillances plus ou moins importantes ces trois dernières années, en particulier celles du secteur de la mode, seulement 7 % des enseignes interrogées n’ont pas ouvert de points de vente en 2024. La grande majorité (65 %) en a ouvert entre un et dix, 21% plus de vingt et 4 % plus de 50 nouveaux magasins dans l’année. Ces ouvertures se font principalement en dehors des centres-villes (centres commerciaux, zones commerciales, retail parks, quartiers périphériques), près de la moitié des enseignes ayant répondu (45 %) n’a ouvert aucun magasin en centre-ville en 2024.
A l’autre extrémité du spectre, 5 % des enseignes ont beaucoup ouvert en centre-ville (entre 30 et 50 magasins dans l’année). «Alors que tout le monde a été très marqué par la défaillance de nombreux réseaux en 2022 et 2023, qu’il est beaucoup question de rationalisation, on constate en fait que les fermetures de points de vente ont été assez peu nombreuses en 2024 : 34 % des enseignes n’en ont fermé aucun et 43 % entre un et cinq magasins seulement», note la fédération. Qu’en sera-t-il en 2025 selon ces mêmes enseignes ? «La surprise est de voir que, malgré un contexte complexe, la volonté est de poursuivre voire de renforcer les tendances de 2024. En effet, les enseignes affirment vouloir accélérer légèrement le rythme des ouvertures.»
Ces tendances ne sont pas démenties par le groupe Altares, spécialiste de la donnée d’entreprises, qui a dévoilé en octobre dernier les chiffres des défaillances d’entreprises en France pour le troisième trimestre 2024 comparé à la même période de l’année précédente. Après avoir atteint des records de défaillances en 2023, le commerce de détail semble mieux orienté : la coiffure s’inscrit maintenant dans le vert tout comme les soins de beauté également qui stabilisent le nombre de défaillances à 117. Ces tendances sont alignées avec celles du commerce de détail de soins de la personne et optique (- 1 % de défaillances). Les performances de ce secteur sont portées par la parfumerie (- 12 %) et l’optique (- 9 %) tandis qu’à l’inverse l’évolution reste décevante dans la pharmacie (+ 38 %). Le commerce de détail d’habillement reste dans le rouge mais lui aussi retrouve des tendances moins douloureuses. L’ensemble du commerce de détail alimentaire s’inscrit également dans une amélioration (- 7 % ).
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