Dans son dernier rapport Fabernovel analyse les résultats des géants de la tech et décrypte leurs modèles.
Les géants de la tech continuent de rugir. Fabernovel qui dresse leur portrait et analyse régulièrement leurs résultats, utilise même le terme de «tsunami» pour qualifier la déferlante des « Big tech ». Dans son dernier rapport «GAFAnomics-Quarterly», le spécialiste du conseil en transformation numérique et de la création de produits et de services numériques fait l’analyse globale de leurs résultats pour le quatrième trimestre 2020 (du 5 novembre 2020 au 5 février 2021).
«Certaines tendances que nous avions déjà abordées dans nos précédentes éditions se sont accélérées ce trimestre. Sur l’année 2020, les modèles tech ont encore franchi un cap en termes de valorisation tant absolue que relative», constate Axelle Ricour-Dumas, directrice corporate strategy de Fabernovel. «On est arrivé à un moment de tension, avec des modèles tech qui continuent d’accroître leurs positions de manière quasi exponentielle en s’appuyant à la fois sur une marge de manœuvre financière considérable et les assets clés de leurs modèles, cassant les conditions d’une concurrence saine. Ceci renforce la nécessité de récréer un terrain de jeu pour de nouveaux modèles».
La responsable cite l’exemple de Baidu en Chine, le B des BATX, l’équivalent de Google pour son moteur de recherche en Chine, qui «a presque doublé son cours de bourse en un trimestre qui fait suite à des bons résultats (+165% de l’EBITDA) mais aussi à une annonce stratégique de partenariat sur le marché des véhicules électriques avec l’entreprise chinoise Geely». Alors que des négociations entre Hyundai et Apple ont été récemment suspendues, le constructeur Geely qui possède Volvo s’est en effet allié à Baidu pour construire des voitures électriques avec ou sans chauffeur au travers d’une coentreprise et d’une nouvelle marque. «C’est aussi la sous-évaluation du marché de l’internet chinois relevée par les analystes en anticipant notamment une croissance du secteur de la publicité en ligne début 2021, qui semblent avoir été entendus par les investisseurs », observe Axelle Ricour-Dumas.
La surprise d’Uber et le flop de Facebook
Parmi les surprises pointées dans ce rapport, les experts de Fabernovel notent l’attractivité toujours forte d’Uber auprès des investisseurs. L’entreprise pourtant fortement impactée par crise sanitaire (avec une baisse de 16% de son chiffre d’affaires sur le dernier trimestre par rapport à l’année passée) continue de perdre de l’argent mais approche peu à peu de la rentabilité en réduisant sa perte nette (de 8,51 milliards de dollars en 2019 à 6,77 milliards de dollars en 2020). «Les livraisons à domicile d’Uber Eats galvanisées par les confinements ont permis d’amortir le choc passant de 19% en 2019 à 35% des revenus d’Uber en 2020», indique le rapport. «L’ action a pris 50% au cours du dernier trimestre montrant que les investisseurs continuent de lui accorder leur confiance».
Facebook pour sa part, qui reste parmi les plus grandes capitalisations mondiales, perd de son attrait et son action n’a pas progressé depuis six mois malgré des bons résultats. «Si tous les voyants financiers sont au vert pour Facebook ce trimestre, l’entreprise cumule les sujets : la dépendance des données avec Apple, le choix du bannissement de Trump de sa plateforme qui a engendré une phase de boycott de Facebook ainsi que les récents soucis éthiques de l’entreprise». La décision de Facebook de bannir Donald Trump qui a fait craindre aux actionnaires et investisseurs des représailles, a fait chuter de 4,5 % le cours de l’action de bourse conduisant à une perte de 33,6 milliards de dollars.
Des puissances hors de contrôle
«Cette année 2020 a plus que jamais illustré l’importance prise par les géants de la Tech dans les usages de la vie quotidienne. 45 minutes de panne de Google ont suffit pour montrer l’hyper-utilité de ses services et à quel point les utilisateurs en étaient dépendants. Bien que la plupart des pays européens aient incité leurs citoyens à soutenir les entreprises locales, les mesures sanitaires ont bénéficié à des acteurs tels qu’Amazon – dont 2020 fût jusqu’à présent la meilleure année en termes de performance financière – qui a su jouer sur la diversité des produits, la livraison et sa rapidité d’adaptation».
Même les autorités ne peuvent plus contrôler ces géants selon Fabernovel qui cite comme exemple les tweets d’Elon Musk se permettant d’indiquer que le cours de bourse de Tesla est bien trop haut (qui fait aujourd’hui fluctuer les cours des cryptomonnaies depuis son compte Twitter) et d’autres tweets incendiaires contre la Fed mais aussi Google, Amazon et Apple qui décident de leur propre chef de bloquer l’application « Parler » de leur store, une application conservatrice très prisée des partisans de Donald Trump. Dans un communiqué, le PDG de Parler, John Matze, avait même accusé «Apple, Google et autres membres du cartel de tyrans des géants de la tech, de coordonner leurs actions et de s’entendre pour empêcher la concurrence». Autres exemples mis en exergue, ceux de Twitter et de Facebook qui ont décidé de bannir Trump.
Des capitalisations boursières qui atteignent des sommets
Alors que l’industrie traditionnelle a ralenti à cause du Covid-19 (0% de croissance des ventes en 2019-2020 pour les entreprises du NYSE et du SBF 120 français en moyenne), les géants technologiques ont réussi à maintenir un rythme de croissance très élevé : 23% d’augmentation des ventes (contre +18% en 2019), et une évolution de +27% des bénéfices avant impôt (EBITDA) (contre 16% en 2019). L’Index de Fabernovel des GAFAnomics Quarterly montre que ces 20 entreprises ont connu une croissance médiane en termes de capitalisation boursière de 71% par rapport à 2019. «Les capitalisations des géants ont atteint des sommets en 2020. Apple vaut à elle seule l’équivalent de toutes les entreprises du CAC 40 réunies. Les quatre GAFA équivalent quant à eux près de trois fois la capitalisation du CAC 40. Ces résultats illustrent leur anti fragilité face à la crise du Covid-19 et la capacité de ces géants à s’adapter face aux contraintes», observe Jérémy Taïeb, analyste financier chez Fabernovel et co-auteur de l’étude.
L’urgence d’un rééquilibrage des Big Tech
Toutes ces analyses et constats montrent qu’en l’espace de 20 ans, les Big Techs ont gagné en puissance. «Huit sur dix parmi les plus cotées au monde en 2020 sont des entreprises tech». Les consommateurs mais aussi des régulateurs semblent avoir pris conscience de cette puissance et de ses excès et certains abus sont désormais sanctionnés au cas par cas. «Ce momentum mène aujourd’hui à une volonté de repenser le cadre réglementaire des plateformes numériques de manière plus globale. Pour réglementer de manière efficace et recréer un écosystème compétitif sain, il est nécessaire de comprendre pleinement le modèle des Big Tech et leurs stratégies complexes, articulées autour de leurs boucles de valeurs reposant sur des interconnexions et des ponts entre leurs différentes activités». Ce sont en effet ces stratégies qui, poussées à l’extrême, ont abouti à certains abus et positions dominantes selon Fabernovel.
Les interconnexions entre services d’Amazon
Amazon en un bon exemple. «La firme a poussé de façon extrême les interconnexions entre ses activités, avec son offre Amazon Prime incluant notamment Prime Video qui agit comme un produit d’appel et vient s’inscrire dans une boucle de valeur pour attirer et rediriger de nouveaux clients vers la marketplace. Cette même marketplace qui va réinvestir dans le financement des productions vidéos de Prime dont le modèle fonctionne à perte. Cela crée un avantage concurrentiel injuste par rapport aux services de streaming qui doivent atteindre la rentabilité et peuvent difficilement concurrencer les investissements d’Amazon dans le contenu (7 milliards de dollars en 2020)».
Google dicte les règles du marché de la publicité
L’autre exemple est celui de Google qui avec sa collecte et la rétention des données de ses partenaires a consolidé sa position de « gatekeeper » ou de passage obligé pour les annonceurs. «En France, cette position de force de Google lui permet de dicter les règles du marché de la publicité en tirant les prix à la baisse, en profitant de sa capacité à négocier seul face à un marché fragmenté de plus de 285 titres de presse».
Apple est devenu un passage obligé pour distribuer les presque 2 millions d’applications développées par son écosystème sur son système d’exploitation iOS. «Apple s’appuie sur cette position de « gatekeeper » pour définir unilatéralement ses propres politiques de prix et ses conditions générales. Ainsi, Apple a un pouvoir de décision total sur le pourcentage de commission fixé, captant la majeure partie de la valeur tandis que certains marchés constatent de ce fait une érosion de leurs marges : par exemple celles de l’industrie du jeu vidéo, divisées par deux en moins de 10 ans ».
Autre passage obligé, celui opéré par Facebook, qui grâce à ses différentes acquisitions (Instagram, Whatsapp) a renforcé sa position de leader du marché, devenant également un passage obligé avec ses 2,7 milliards d’utilisateurs actifs mensuels. «Ces rachats de concurrents établis, qui n’étaient déjà plus de petites startups, équivaut à accaparer les capacités d’innovation d’un marché et créer des barrières importantes pour les challengers. Cette position permet à Facebook de dicter ses conditions, aussi bien à ses utilisateurs qu’aux annonceurs».
Enfin Microsoft propose aujourd’hui Teams dans son package de services de sa suite Office 365 pour moins de 5 dollars par utilisateur alors que l’outil de collaboration Slack est vendu en tant que service autonome (6,67 dollars par utilisateur). «Sans cette Suite Office, il est peu probable que Teams ait pu se développer deux fois plus vite que Slack. Difficile pour ses concurrents de rivaliser avec une base de 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels et la vélocité de ces modèles, malgré les fonctionnalités et les atouts d’une application individuelle, comme en atteste le rachat de Slack par Salesforce». Le spécialiste de la relation client qui a signé un accord définitif pour l’acquisition de la plateforme de communication d’entreprise en décembre dernier va l’associer à Salesforce Customer 360. Slack est notamment utilisé par Starbucks, Target et TD Ameritrade et compte des clients dans plus de 150 pays.
Une indispensable régulation
«Aujourd’hui, la concentration des GAFA et leur vélocité entraînent un effet qui met en danger les acteurs en place. Cela implique de corriger les excès actuels, mais aussi de penser un cadre de régulation capable d’anticiper les évolutions futures de ces géants de l’économie numérique», explique Gabrielle Peyrelongue, analyste chez Fabernovel et co-auteur de l’étude. Mais la réglementation seule ne réussira pas à inverser la tendance actuelle et à permettre l’émergence de champions européens selon les auteurs du rapport. «Il est nécessaire d’être proactif et de mettre en œuvre des plans industriels européens pour stimuler et favoriser l’innovation, grâce à l’interopérabilité des chaînes d’approvisionnement ou à la modernisation des boucles de valeurs et des infrastructures locales. Les entreprises doivent unir leurs forces et créer des alliances afin de collaborer de manière plus égale avec les GAFA, mais aussi les remettre en question et proposer des alternatives européennes», conclut Axelle Ricour-Dumas.
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