La note d’analyse d’Alexis Gazzo, associé EY, responsable du département climate change & sustainability.
Alors que 2025 marque les dix ans de l’Accord de Paris, les signaux d’un recul des ambitions climatiques se multiplient, parfois de manière décomplexée. Comment garder le cap pour les entreprises de cette transformation nécessaire vers des modèles économiques durables ?
Les contradictions entre les décisions prises à court terme et leurs conséquences à long terme sont au cœur des sujets de durabilité depuis toujours. Les retours de balancier suite aux périodes d’accélération de la transition écologique se sont répétés dans le passé. : le New York Times parlait déjà en 1970 de «Ecological Backlash», les États-Unis sont déjà sortis de l’Accord de Paris… Il faut redoubler d’efforts dans ces moments compliqués pour nous engager résolument dans la transformation de nos pratiques et de nos modèles. En somme, « keep calm and decarbonize ».
De l’ambition à l’action
Tout d’abord, nous sommes passés « de l’ambition à l’action ». Cette phase opérationnelle de la transition passe notamment par des projets de décarbonation de sites industriels, de rénovation thermique des bâtiments, de redéfinition du portefeuille de produits. Ce sont des projets de transformation de l’outil de production avec des implications très impactantes en termes de mobilisation d’investissements, mais aussi de compétences et de formation.
Si l’on regrette que la filière de l’hydrogène décarboné ne soit pas en mesure d’effectuer un «scale up» industriel rapide, rappelons-nous que la filière du gaz naturel liquéfié a mis plusieurs décennies à se structurer. Il devient clair que l’objectif fixé par le plan européen RePowerEU et ses 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable produits en Europe est hors d’atteinte, étant donné que nous n’avons fait qu’à peine 3 % du chemin et qu’il nous faudrait installer 100 GW de capacités d’électrolyse d’ici à 2030 en Europe. Pour l’hydrogène comme pour bien d’autres sujets, nous sommes finalement en train de passer des ambitions de départ (parfois déraisonnables) à des objectifs plus réalistes, maintenant que nous sommes entrés dans la phase opérationnelle.
Ensuite, nous ne parvenons pas suffisamment à transformer notre ambition écologique en levier de développement industriel pérenne. Dans l’hydrogène, nous avons réussi à faire sortir de terre plusieurs «gigafactories» d’électrolyseurs et de piles à combustibles bien qu’elles soient aujourd’hui dans une « vallée de la mort » due à la demande qui tarde à décoller. Pour d’autres secteurs de la transition énergétique, ces derniers mois laisseront des traces. En particulier, l’annonce fin janvier de la fermeture de Photowatt, l’une des trois dernières usines françaises de composants de panneaux photovoltaïques, est emblématique de la difficulté à faire vivre une filière industrielle du solaire en France. Pourtant le potentiel est indéniable : ce sont en France 100 GW installés d’ici 2050 ainsi que chez nos voisins. De quoi continuer à espérer que les projets de grandes usines prévus en France se concrétisent.
«Pendant que les États-Unis financent, l’Europe régule», cette maxime souvent entendue rappelle que nous n’avons pas suffisamment travaillé la question des moyens de financement de la transition écologique. Contrairement aux États-Unis, nos contraintes d’endettement limitent nos marges de manœuvre. Pourtant, des moyens de mieux diriger l’épargne et les flux de capitaux en Europe existent. C’est d’ailleurs précisément dans le but de créer un nouveau référentiel de mesure de la performance environnementale et sociale que le règlement Taxonomie et la directive CSRD ont été adoptés. Il vise à fournir aux investisseurs une information fiable, précise et comparable. Le déploiement en cours de ces réglementations rappelle qu’aborder le sujet de la performance ESG uniquement sous l’angle de la conformité conduit inévitablement à n’en percevoir que les complexités, sans en saisir les opportunités. Si une simplification est nécessaire, faudrait-il pour autant revoir à la baisse nos ambitions en termes de fiabilité et de transparence de l’information extra-financière comme le proposent certains ? Comment expliquer alors la cohérence entre notre volonté de nous décarboner, tout en refusant les outils de mesure ?
Changer le récit de la transition écologique
À l’heure où les conversations climato-sceptiques pullulent sur les réseaux sociaux, nous devons également redoubler nos efforts sur le front de l’éducation, de l’information et de la sensibilisation. Mais au-delà de la fiabilité de l’information, comment faire de la transition écologique un récit pour mobiliser la société ? Cela doit être une des priorités du moment. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le ministère de l’information britannique avait émis le célèbre slogan «keep calm and carry on» pour donner du courage à la population. Et si «keep calm and decarbonize» pouvait avoir le même succès ?
Les signes d’une évolution inéluctable nous entourent bel et bien si on y prête attention. Le Royaume-Uni a annoncé tourner définitivement la page du charbon en fermant en septembre la centrale de Ratcliffe-on-Soar. C’est un symbole important pour un pays qui a bâti son développement économique sur cette énergie. En Europe, la production électrique a enregistré une nette diminution de la part des combustibles fossiles (de 39 % à 29 %) entre 2019 et 2024 et inversement une forte augmentation de la part des énergies renouvelables (de 34 % à 47 %) sur la même période, depuis le lancement du Green Deal. Pour la première fois, la filière solaire a produit davantage d’électricité que les centrales à charbon en 2024 en Europe.
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