Marie-Cécile Rochet : imaginer les modèles de demain avec lucidité

Temps de lecture : 5 minutes

construire les business models @clesdudigitalDu monde mutualiste au marché de l’habillement pour femmes séniores en passant par ceux du crédit à la conso et de la réparation auto, Marie-Cécile Rochet aime découvrir sans cesse de nouveaux secteurs d’activité et briser la routine. Mais ce qui la motive avant tout c’est d’imaginer et de construire les business models de demain.

Quand elle raconte son parcours, Marie-Cécile Rochet, aujourd’hui directrice générale transformation et marketing chez Afibel (groupe Darmatex) commence par faire ce constat : «Je viens de très loin». Loin du marketing sans doute car cette douée en littérature, dont la maman est enseignante, suit un cursus classique de prépa hypokhâgne et khâgne, décroche une maitrise de littérature comparée français-latin, intègre Langues O’ (L’Institut national des langues et civilisations orientales aujourd’hui Inalco) et elle complète ensuite sa formation par quelques cours au CFPJ. «Je ne savais pas ce que je voulais faire», admet Marie-Cécile Rochet qui deviendra professeur auxiliaire pendant deux ans dans un collège. C‘est cette première expérience pédagogique qui l’amènera à intégrer une agence de publicité spécialisée sur la cible enfants. «On découvrait à l’époque le pouvoir prescripteur des enfants». Les marques de grande consommation sponsorisent alors des kits pédagogiques qui sont fournis aux enseignants.

Ces premières années dans la publicité, au sein d’une agence spécialisée puis d’une autre plus généraliste seront aussi ses premières incursions dans l’univers du marketing. Une discipline qui nécessite «un équilibre entre les chiffres, la mesure, la créativité, la sensibilité au client», et qui va rapidement la passionner. Après ces quelques années en agence et à Paris, elle quitte la capitale pour rejoindre l’annonceur et devient responsable marketing au sein d’une mutuelle en perte de vitesse. «Ce secteur était tout juste en train de se moderniser. Les clients étaient encore appelés les bénéficiaires. Il était déjà question de transformation». Marie-Cécile Rochet initie alors les prémisses du CRM dans l’entreprise en créant un petit centre d’appel clients et participe au redressement de la structure. «Une expérience très intéressante» avant de partir en 2002 chez Cofidis, une plus grosse organisation dont le métier est aussi en pleine transformation puisqu’il faut le faire passer du modèle VPCiste au modèle digital. «Lorsque je suis arrivée, toutes les demandes de crédit s’effectuaient encore via le papier et par téléphone et lorsque que je suis partie en 2011, près de 80% étaient réalisées sur internet».

Entrée comme chef de service au sein de la direction marketing, elle va rapidement prendre la casquette du digital, piloter plusieurs refontes de site web en profitant aussi des capacités d’investissements de l’entreprise qui peut alors s’équiper des solutions technologiques les plus modernes. «J’ai eu beaucoup de chance de baigner dans cet environnement, de bénéficier de cette avance technologique. Les clients commençaient à avoir des parcours d’achat complexes. Nous sommes passés par ces phases ou en interne il y avait d’un côté les équipes qui géraient le marketing direct à l’ancienne, avec le papier et les coupons et qui voyaient leur chiffre décliner, et de l’autre les équipes du digital avec le web qui battaient des records. Il y avait une espèce d’injustice et il fallait accompagner les équipes pour ne pas qu’il y ait les « loosers » d’un côté et les « winners » de l’autre». Cette période où le management «doit donner du sens» est une période clé dans la vie professionnelle de Marie-Cécile Rochet. «C’est aussi un moment où notre regard sur le web a changé car nous étions poussés par la technologie, les analyses de tracking sur les sites».

construire les business models @clesdudigitalL’innovation en ligne de mire

Après ces neuf années passées dans l’univers financier, elle change de secteur. La voici nommée directrice marketing international, communication, RSE de Mobivia, maison mère de Midas et de Norauto notamment. Elle n’est pas une pro de la réparation automobile mais le marketing stratégique est dans ses compétences et la passionne. Le marché est en plein bouleversement et le sujet de l’accès aux données clients et produits devient crucial pour ces métiers artisanaux soumis aux évolutions des véhicules de plus en plus connectés avec des conducteurs désormais captés par les constructeurs, avec aussi un marché en ligne des pièces automobiles qui s’organise. Sur certains secteurs, les enseignes du groupe commencent à se faire dépasser par de nouveaux entrants comme Allopneus. Il faut réagir. Membre du comité exécutif du groupe Mobivia, Marie-Cécile Rochet créé et pilote la business unit dédiée au CRM et data du groupe. «Mon sujet était très axé sur l’organisation de ces datas et je me suis occupée de l’innovation. Alors que le marché de la mobilité évoluait, il s’agissait de prendre du recul pour voir comment un groupe multimarques doit orienter ses investissements avec une vision à dix ans».

Un «boulot passionnant» qui l’amènera à organiser des voyages d’études, à promouvoir  l’intelligence collective et à diriger ensuite CarsStudio, l’incubateur du groupe qui a déjà créé un fonds d’investissement destiné aux nouveaux usages de la mobilité en 2010. Le but est d’investir dans de jeunes pousses pour apprendre. CarsStudio se consacre au«core business», aux startups intéressantes pour le métier des garagistes. Marie-Cécile Rochet accompagne aussi les projets d’intrapreunariat, fait de la veille pour détecter de nouveaux sujets stratégiques, rencontrent de jeunes entrepreneurs. «C’est aussi une période de tâtonnement pour la gouvernance, entre ces petites boites et les grands groupes. Un peu David contre Goliath. C’est parfois perturbant pour les groupes mais très intéressant». Plusieurs petites structures émergeront et seront reprises en interne comme Groom Groom, un service de conciergerie intégré à Norauto. Drivy, Heetch, Smoove, WayzUp, Green On, Ector font aussi partie des jeunes pousses qui ont été accélérées. «Nous avons également confié des projets à ces startuppers qui ont été chargés de les développer».

construire les business models @clesdudigitalSe projeter dans l’avenir

De cette expérience très enrichissante, Marie-Cécile Rochet fait naitre un ouvrage intitulé «Open Innovation, pourquoi, comment» (publié chez Maxima Éditions). «La motivation de l’innovation casse des réticences. J’ai trouvé cela passionnant». En décembre 2019, elle rejoint cette fois Afibel, entreprise de vente à distance du groupe Damartex née en 1954 et qu’il s’agit là encore de transformer. «Ce que je fais ici est un peu la synthèse de tous les sujets que j’ai déjà pu appréhender. Il s’agit de retournements d’entreprise, de sujets culturels, de transformation du marketing en passant par la refonte de l’offre pour la rendre plus désirable, de sujets de data à segmenter, de stratégie de personnalisation… Il faut se projeter dans l’avenir car la cliente d’Afibel qui aime encore le papier n’est pas éternelle. Il faut pouvoir gérer une logique d’hybridation des modèles et des rythmes différents».

La responsable se nourrit des ouvrages de John Kotter, professeur à la Harvard Business School qui décrit la façon dont les entreprises peuvent à la fois survivre à court terme et se développer à long terme dans un environnement changeant et faire coexister un fonctionnement dual en conciliant l’ancien et le moderne. «La transformation est une chose mais ce que nous vivons c’est la transition, entre deux modèles et deux cultures, qui s’inscrit dans le temps. Cette complexité, ces sujets de changement de business modèles me plaisent. Il faut se projeter mais avec lucidité et apprendre à lutter contre des résistances car le modèle de l’entreprise se défend très bien». La dirigeante qui est entourée d’une équipe de 25 personnes aime aussi affronter les contraintes pour les contourner. Et quand elle n’est pas en train d’imaginer les modèles d’affaires de demain, elle prend plaisir à mener des travaux, hors de l’entreprise cette fois, mais pendant ses loisirs. «J’adore m’attaquer à des travaux de rénovation. Comme dans mon travail, je ne pars pas d’une page blanche. Et d’ailleurs je garde toujours un truc vieux, un détail, qui me rappellera mon cheminement, la manière dont j’y suis arrivée».

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