A quelques jours de son départ de la présidence de la SNCF, Guillaume Pepy livre sa vision de la transformation digitale des grandes entreprises, dont la sienne.
Faire coexister la transformation numérique et la culture des grandes entreprises est un parcours semé d’embuches et de déconvenues. Guillaume Pepy, qui quittera la présidence de la SNCF fin octobre, l’a déclaré lors d’une conférence sur le thème «Transformation numérique. Ou sont passé.e.s les DG ?», organisée par l’Institut G9+, une plate-forme d’études et d’échanges sur le numérique fédérant 20 communautés d’anciens de toutes formations (écoles d’ingénieurs, management, sciences politiques, université). « La transformation numérique de cette décennie est marquée par quelques invariants : la communication et le buzz, la création de structures nouvelles CDO, CIO, incubateurs, corporate venture… et l’open innovation qui a ouvert les frontières de l’entreprise vers la coopération avec des living labs, des startups, sans que ni la gouvernance, ni la dynamique interne de l’entreprise, ni le système de décision, ni celui de management des risques, n’aient évolué ou peu », affirme en préambule ce think-tank.
Marier les cultures
Une affirmation que le Pdg du groupe ferroviaire ne va pas contredire. « La créativité du digital répond mal à la structure des grandes entreprises. Pas mal de projets digitaux sont tombés au tapis car ils n’avaient pas suffisamment de place pour se développer. De plus il est difficile de concilier le temps industriel lié aux cycles d’investissements, à ces projets qui ont des durées de vie courte. Aujourd’hui nous essayons de marier les cultures », explique Guillaume Pepy. Pas facile non plus d’embarquer toutes ses équipes dans la voie de cette transformation. « Parmi nos collaborateurs, 20% se disaient convaincus, 40 à 50% estimaient que c’était un mal nécessaire et les autres se sentaient honteux de ne pas être à bord, en masquant leur méconnaissance. Pour ceux qui sont à l’écart, le seul critère qui compte c’est l’humain : le partage, le tutorat, le mécénat des compétences, l’échange pour voir comment les gens se servent de l’outil et ceux qu’il faut envoyer en « redressement digital ». Mais certains restent dans l’évitement ».
Il faut aussi « apprendre de ses échecs » et se donner les moyens de la réussite. Le dirigeant cite en exemple celui des « devices » dont il faut équiper les 140 000 agents. « Souvent les personnels travaillent avec des « devices » pourris alors qu’ils en ont des très bons à la maison. Il faut au contraire favoriser les échanges des photos, les usages personnels ont du sens. Commençons par ne pas les brider ».
Des systèmes ouverts
Autre mur à franchir : celui de la connectivité qui « n’est souvent pas à la hauteur de l’outil, avec des codes, des protections à différents niveaux ». Le Pdg admet qu’il s’est posé la question de concilier cybersecurité et « devices » et que cela « n’a pas été un franc succès ». Par ailleurs la SNCF a déjà lancé il y a près de deux ans l’école numérique pour développer les connaissances et les compétences de l’ensemble des collaborateurs qui ont un métier dans le numérique (SI, digital & télécom), et à sensibiliser le groupe sur les sujets digitaux. « Mais il faut que tous les lieux de l‘entreprise soient mis en réseau, que les gens sentent qu’ils sont dans un système ouvert ». Il a aussi lancé les « 574 », les « maisons du digital » dont le nom est inspiré des 574,8km/h, record mondial de vitesses sur rails, réalisé en 2007 par SNCF. Implantés à Saint-Denis, Toulouse, Nantes et maintenant Lyon, ces espaces mêlant co-working, showroom et zones d’expérimentation hébergent les Fabs (centres d’expertises dédiés au big data, design, internet industriel et open innovation), des équipes projets digitaux et accueillent des collaborateurs pour des moments d’inspiration ou de co-création. « C’est ouvert à tous les salariés. L’objectif est de déverrouiller, d’ouvrir, d’abaisser les barrières… on a tous des discours « casher » quand on est pdg. Nous sommes imbattables sur le discours de la transformation numérique mais l’important c’est le réel », martèle le Pdg qui déplore aussi le faible taux d’utilisation des technologies numériques. « Nos systèmes sont utilisés à 30 à 40% de leurs capacités. Comment réconcilier une approche technologique du digital avec des usages faciles ? », se demande Guillaume Pepy. « Nous avons continué à avoir une vision exhaustive, systémique, c’est un vrai chantier à mener ».
L’IA perçue comme une grande menace
Enfin, l’autre « grande menace » telle qu’elle est appréhendée par les salariés est l’intelligence artificielle. « Les gens sont très inquiets. Surtout ceux qui sont dans des tâches de conception et de modélisation ». Pour rassurer, le dirigeant préfère utiliser le terme « augmenté » moins traumatisant. « Le digital, avec le prédictif, la robotisation, les drones, est vertigineux. C’est à la fois excitant et cela pose aussi des questions sur les compétences. Il faut investir massivement dans les salariés pour que le digital devienne une source de satisfaction. Et les différents Comex ne doivent pas s’interroger sur les investissements technologiques mais sur les exemples et les signes qu’ils donnent. Est-ce que le digital transforme leur manière de faire ? Leurs tableaux de bord ? Le DRH est-il moteur dans le digital ? Il faut être un modèle ». Il s’agit aussi de marier au mieux « le core business » d’une entreprise ancienne avec « l’explore » . « Mixer les cultures est un vrai enjeu », souligne Guillaume Pepy.
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