Traçabilité de la chaine de valeur : un enjeu de taille pour l’industrie de la mode durable

Temps de lecture : 5 minutes

@clesdudigitalAvis d’expert : Amit Gautam, PDG de TextileGenesis, plateforme de traçabilité du groupe Lectra.

La traçabilité est devenue un impératif pour les marques de mode, particulièrement en raison des réglementations environnementales. Selon le rapport State of Fashion 2024, 87 % des dirigeants du secteur de la mode pensent que ces réglementations auront un impact sur leur activité cette année[1].

Les réglementations en matière de développement durable se multiplient et se renforcent partout dans le monde, notamment en matière de traçabilité. En Europe, par exemple, les lois sur le devoir de diligence dans la chaîne d’approvisionnement sont déjà en vigueur dans plusieurs pays, et le passeport numérique des produits (DPP) en cours de validation devrait bientôt entrer en vigueur.

Par ailleurs, les consommateurs demandent davantage de transparence sur le niveau d’information partagé par les marques. L’étiquette se positionne en tête des circuits d’information privilégiés par les clients, juste devant le lieu de vente et loin devant le site web de la marque, les médias et les réseaux sociaux[2].

Pour les marques de mode durable qui veulent se conformer au plus vite aux nouvelles exigences environnementales, et gagner la confiance des consommateurs, la traçabilité de la chaine d’approvisionnement pose cependant plusieurs défis.

Assurer la traçabilité des matières tout au long de la chaine de valeur

Aujourd’hui, seuls 19 % des acteurs de l’industrie de la mode disposent d’une visibilité sur leur chaîne de valeur, et cette visibilité est souvent partielle[3]. De nombreuses marques, notamment celles qui se sont fixées des objectifs ambitieux de durabilité, sont confrontées à un véritable défi en matière de transparence de leur chaîne d’approvisionnement. Cartographier l’ensemble de la chaîne de valeur d’un vêtement et assurer la traçabilité de son origine est extrêmement complexe. Pour un produit aussi simple qu’un T-shirt en coton, il peut y avoir jusqu’à 10 organisations impliquées, de la culture du coton à la vente au détail.

Pour être en mesure de prouver le caractère durable de leurs produits, les marques doivent pouvoir suivre l’ensemble de la chaine de valeur des matières certifiées. Or, traditionnellement, l’origine des produits est établie « à rebours » sur une base déclarative, en suivant la chaîne d’approvisionnement dans le sens inverse, du produit fini aux acteurs intermédiaires. Il en résulte un risque d’erreurs, voire de fausses déclarations.

En s’inspirant de la blockchain, il est possible d’assurer différemment la traçabilité des produits, depuis l’origine des fibres jusqu’aux vêtements finis, en passant par les différentes étapes de transformation. Des certificats numériques d’authenticité uniques et non interchangeables (NFT) permettent alors de valider et enregistrer les propriétés et la provenance des fibres durables. Ces données sont stockées et sécurisées sur une plateforme où elles ne peuvent pas être modifiées. La plateforme détecte et enregistre les nouvelles informations à chaque nouvelle étape de la chaîne d’approvisionnement, en suivant les phases de production des fils et des tissus, les processus de teinture et de finition, et enfin la production des vêtements.

Les marques de mode durable peuvent ainsi garantir, aussi bien aux autorités réglementaires qu’aux consommateurs, l’utilisation exclusive de fibres authentiques et durables.

Maitriser l’ensemble de la chaine d’approvisionnement, y compris pour le cuir

Les chaînes de valeur du cuir et de la chaussure sont aussi fragmentées et opaques que celles du textile. En effet, le nombre de composants individuels nécessaires à la fabrication d’une seule paire de chaussures peut aller de 10 à plus de 50 composants distincts. Pour les marques, l’enjeu est de maîtriser l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement, y compris en amont des tanneries.

En raison du nombre important de composants, et donc de la quantité d’informations à traiter, avoir une visibilité globale de la chaine de valeur des matières premières implique de ne pas multiplier les outils. Pour assurer un suivi des matières de qualité, les marques ont en effet besoin de retrouver au sein d’une seule et même plateforme les informations sur la chaine d’approvisionnement de tous les articles de leurs collections : vêtements, mais aussi chaussures et maroquinerie.

Plus une plateforme devient le point de convergence de l’ensemble des informations remontées par l’ensemble des acteurs, plus elle garantit aux marques que toutes les interactions de la chaine d’approvisionnement sont correctement identifiées, et que la conformité aux différents standards est parfaitement vérifiée. Pour cela, les plateformes doivent être capables de nouer des partenariats étendus avec les différentes parties prenantes de l’écosystème du textile, mais aussi avec celles des écosystèmes du cuir et de la chaussure.

La vérification de l’ensemble de ces données est également un enjeu clé. En plus d’offrir une visibilité complète, les plateformes doivent pouvoir assurer la fiabilité des données et garantir que les informations soient vraies.

Assurer la conformité avec les règlementations en cours et à venir

En matière de développement durable dans la mode, on peut d’ores et déjà identifier près d’une trentaine de réglementations mises en place ou à venir, applicables notamment en Australie, au Canada, aux États-Unis et en Europe[4], dont une vingtaine joueront un rôle déterminant. Les réglementations visant l’industrie textile sont non seulement nombreuses mais également de plus en plus ciblées et strictes, particulièrement en matière de traçabilité. En Europe, la mise en place du DPP devrait exiger des acteurs de l’industrie de la mode de partager leurs données produits et d’en faciliter l’accès aux autorités, partenaires et consommateurs.

Face aux multiples réglementations qui se mettent en place, les marques de mode doivent rapidement s’appuyer sur les technologies avancées et trouver les bons outils pour gérer efficacement leur chaîne d’approvisionnement et ainsi bénéficier de la transparence désormais indispensable.

En matière de traçabilité, les marques doivent pouvoir s’appuyer sur un outil qui garantit que chaque transaction dans le système reflète fidèlement une réalité souvent très complexe, puisqu’il peut y avoir jusqu’à 300 types distincts de transformation dans la chaîne de valeur du textile, de l’origine de la fibre à la vente au détail. Et comme la traçabilité ne peut exister sans l’intervention de tiers de confiance pour éviter l’éco-blanchiment, cet outil doit également permettre l’intégration des certifications délivrées par les organismes certificateurs indépendants. L’origine des matériaux (pour les fournisseurs de niveau 4 et 5) doit aussi pouvoir être vérifiée pour toutes les chaînes de valeur des matières, du polyester recyclé aux fibres animales responsables en passant par le coton biologique et les fibres cellulosiques artificielles.

Les marques peuvent s’appuyer sur plusieurs technologies avancées. L’intelligence artificielle (IA) peut notamment jouer un rôle crucial en veillant à ce que chaque opération du système reflète les complexités du monde réel et les divers scénarios de la chaîne d’approvisionnement. En créant un système de vérification robuste et intégré pour chaque transaction, l’IA permet d’alerter automatiquement en cas de risques de non-conformité.

Accéder en temps réel à l’ensemble des données de la chaine de valeur est également un atout pour les marques, tout comme les API (ou Interfaces de Programmation d’Application) qui sont nécessaires pour les échanges de données normalisés et automatisés entre les marques de mode, les fournisseurs de textiles et la plateforme de traçabilité.

Enfin, compte tenu de la diversité des partenaires (producteurs, fournisseurs, importateurs, distributeurs…) au niveau mondial et de la complexité des réglementations locales, les marques de mode ont besoin d’un accompagnement dans l’ensemble des pays, avec une présence locale tout au long de la chaine de valeur.

De nouveaux défis qui s’accompagnent de nouveaux rôles pour les marques

L’évolution des attentes et des comportements des consommateurs ainsi que la multiplication des réglementations changent la donne pour les acteurs de la mode. C’est bien sûr source de défis mais aussi d’opportunités pour les marques qui ont de nouvelles responsabilités et de nouveaux rôles.

En devant techniquement être en mesure de faire preuve de plus de transparence, les marques peuvent inspirer davantage confiance à leurs clients et concrétiser leurs engagements à œuvrer pour des conditions de travail plus sûres et plus dignes, contribuer à l’économie circulaire et agir pour une planète qui se porte mieux.

La technologie joue d’ores et déjà un rôle clé pour leur permettre de réaliser d’énormes progrès en matière de suivi de leur chaine d’approvisionnement et se positionner à l’avant-garde du développement durable. Les marques peuvent ainsi bénéficier de réels avantages en mettant en œuvre une solution de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement qui est à la fois évolutive, sécurisée et robuste.


[1] Rapport State of Fashion 2024, BOF / McKinsey and Company

[2] Étude Première Vision https://www.premierevision.com/fr/magazine/etude-pv-ifm-mode-ecoresponsable/

[3]https://www.lectra.com/sites/default/files/2022-12/cp-TextileGenesis-acquisition-fr-12-8-2022%20%283%29.pdf

[4] Source : « Traçabilité et transparence dans la mode : panorama des règlementations internationales » – Observatoire Lectra – mai 2024

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