Thomas Husson, vice président, principal analyst chez Forrester Research partage ses insights sur l’avenir du marketing digital et revient sur les dix années qui ont marqué ce métier.
C’est une de ces après-midis où l’océan semble vouloir dévorer la ville de Biarritz. La pluie ne cesse de tomber, balayant la terrasse du café où nous sommes installés. Face à nous, le centre Bellevue, imposant, domine la grande plage. C’est là que se réunissent pendant trois jours les décideurs du marketing et du digital, invités pour la 10e édition de One to One Expérience Client, organisé par Comexposium. À l’intérieur, on parle tendances, on discute données, intelligence artificielle, innovation. Bientôt Thomas Husson clôturera cette édition pour présenter l’évolution du marketing sur la dernière décennie. Mais pour l’heure, il semble ailleurs, smartphone à portée de main. «J’ai retrouvé des diapos des premières éditions», dit-il doucement. Il parle des slides où les termes «data» et «responsabilité» revenaient déjà en boucle. «Tout a changé et rien n’a changé», résume-t-il, replongeant dans les premières éditions de cet événement.
«L’innovation technologique a bouleversé nos vies, mais au fond, le cœur du métier de marketeur est resté le même.» Ce cœur, c’est la compréhension des besoins des consommateurs, la construction d’une stratégie de marque et l’orchestration de l’expérience client. «Ces trois piliers, ils sont là depuis toujours», explique Thomas Husson. Mais il ajoute aussi que tout s’est accéléré. «On a l’impression que tout change tout le temps, mais c’est l’innovation autour de nous qui bouge, pas forcément le métier.»
La durabilité, entre opportunité et fatigue
La pluie redouble d’intensité, puis cesse. Les aléas météorologiques rappellent avec force l’importance de l’éco-responsabilité. Pourtant le sujet semble parfois oublié. «Aux États-Unis, on ne parle presque plus de durabilité, ou alors avec difficulté. Là-bas, le mot ESG (Environnement, Social, Gouvernance) est devenu rare», constate Thomas Husson. En Europe, c’est différent. Les consommateurs, les entreprises, semblent davantage conscients des enjeux. Mais ce n’est pas pour autant que les choses bougent aussi vite qu’elles le devraient.
«En France, beaucoup de marques voient encore ces régulations comme une contrainte. On nous embête avec ça, c’est ce qu’elles pensent.» Pourtant, pour Thomas Husson, la durabilité est bien plus qu’un simple défi à surmonter : c’est une chance de repenser la chaîne de valeur, d’être créatif, de faire plus avec moins. «C’est là que les marques doivent innover», ajoute-t-il.
L’IA, l’étoile filante qui prend son temps
Dans l’air humide de Biarritz, les mots «intelligence artificielle» flottent comme un refrain connu et quelque peu fatigué. « Nous avons surévalué l’IA», estime Thomas Husson. «Nous nous sommes emballés, croyant que tout allait tout changer, tout de suite.» Mais la réalité est plus modeste. La promesse de gains de productivité fulgurants s’est estompée. «Dans le meilleur des cas, on parle de 10 à 15 % », précise-t-il. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas la révolution annoncée non plus, même si cette évolution change beaucoup de choses.
Thomas Husson évoque les «agents IA hybrides», ces outils qui s’installent doucement dans certaines entreprises aux États-Unis. Des assistants intelligents capables de parler, d’automatiser, de résoudre des tâches complexes. «En France, nous en sommes encore loin», reconnaît-il. Mais l’espoir est là, et l’innovation avance, peut-être plus lentement imaginée. «Il existe une fatigue, c’est vrai. Mais l’IA reste une promesse, une trajectoire à suivre.»
La mémoire numérique, ce trésor ignoré
L’un des sujets peu abordé, mais qui deviendra central selon Thomas Husson, est celui de la mémoire numérique. Les marques, sans vraiment s’en rendre compte, accumulent des données, des traces laissées par les consommateurs à chaque interaction qui forment une mémoire, un capital souvent sous-estimé. «C’est une ressource précieuse, un actif stratégique.»
Les marketeurs pourraient passer à côté de cette mine d’or, s’ils ne savent pas la valoriser. «L’enjeu est de réussir à utiliser cette mémoire pour enrichir l’expérience client». Mais cette richesse numérique soulève aussi des questions. La protection des données, le respect de la vie privée… autant de sujets que les entreprises doivent aborder avec prudence.
L’expérience client : plus qu’une promesse, un combat
L’analyste aborde ensuite le dernier pilier de cet échange portant sur l’expérience client. «C’est là que tout se joue», affirme-t-il. «Aujourd’hui, toutes les marques promettent presque la même chose.» Dans un univers où le digital est devenu omniprésent, les différences entre les offres s’amenuisent. «L’enjeu, c’est l’émotion, l’humain», insiste-t-il. Il ne s’agit plus simplement de digitaliser à outrance, mais de réinjecter du sens, de la chaleur dans chaque interaction.
Le défi est grand pour les marques présentes à Biarritz. Elles doivent offrir bien plus qu’une simple transaction et créer une expérience mémorable. «Il faut que l’expérience dépasse les attentes, que la promesse de marque soit tenue, et bien plus encore.»
L’avenir du marketing appartient à ceux qui sauront marcher sur ce fil tendu entre innovation et émotion, entre technologie et humanité. «Le marketing reste un métier de funambule», estime Thomas Husson. Si les outils changent, l’essence du métier reste la même. Il s’agit toujours de comprendre les consommateurs, de leur parler avec sincérité, et de les surprendre.
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