La RSE n’a pas encore essaimé dans les boutiques

Temps de lecture : 6 minutes

RSE jusqu'aux magasins @clesdudigitalSi l’amont de la filière mode et luxe avance dans la voie du développement durable, la RSE a encore du chemin a parcourir dans la partie aval, jusqu’aux magasins et équipes de vente.

Près de trois entreprises sur quatre ont créé des postes RSE au sein de leur organisation, selon une enquête réalisée par RMS Consulting auprès de plus de 60 maisons de mode et de luxe. Quelles sont les actions qui ont été mises en place et surtout comment les stratégies RSE cascadent-elles jusqu’en boutique ? C’est à cette dernière question qu’ont répondu des responsables de Christian Louboutin, Sessùn, Altermundi et Faguo lors d’une table ronde organisée par le cabinet de conseil et de formation le 7 novembre dernier. Pour ces trente-neuvièmes «Rencontres RMS» qui se sont déroulées au sein du showroom de la maison Yohji Yamamoto, plus d’une centaine de marques avaient répondu présent. Preuve que ce sujet est au cœur des préoccupations du secteur. «Nous y travaillons depuis longtemps mais nous connaissons plus la partie amont que le retail», a expliqué Adeline Dargent, déléguée générale du Syndicat de Paris de la Mode féminine et responsable RSE de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin qui a également rappelé en préambule la définition du développement durable, «un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la qualité de vie des générations futures ».

Les entreprises ont, quant à elles, progressivement adopté la RSE qui correspond «à l’intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales en collaboration avec leurs parties prenantes. Cela implique que les entreprises contribuent de manière positive à la société, tout en continuant à produire». La RSE concerne les domaines environnementaux, tels que la gestion des déchets, ainsi que les aspects sociaux comme l’inclusion, la diversité, la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle. La responsable du Syndicat a cité les nombreux certificats et labels comme Oeko-Tex qui vérifie l’absence (ou concentration limite) de substances chimiques nocives ou indésirables dans les articles textile, ou encore Ecovadis et B-Corp destinés aux entreprises… Près d’un tiers des entreprises interrogées dans l’enquête de RMS sont d’ailleurs certifiées B-Corp ou ont entamé des process pour y parvenir et un quart d’entre elles ont répondu utiliser des textiles labellisés Oeko-Tex et autant de la fibre labellisées GOTS (Global Organic Textile Standard).

La satisfaction des employés reste peu mesurée

L’enquête révèle ainsi que 70% des retailers ont mis en place une politique RSE globale, mais que seulement 25% l’ont déclinée au niveau du commerce de détail. Plus concrètement la moitié des participants ne surveillent pas la satisfaction de leurs employés, n’implémentent pas d’initiatives pour promouvoir l’inclusivité et ne mesurent pas les actions prises pour soutenir les employés en situation de handicap. Mais ils sont autant à s’être engagés dans la collecte, la vente seconde main et la réparation de produits. Enfin 38% ont évalué leur empreinte carbone, une pratique qui devrait se généraliser pour répondre à la réglementation future.

Certaines marques et en particulier celles qui sont venues témoigner lors de cet événement ont d’ores et déjà pris une longueur d’avance dans ces domaines. «La diversité et l’inclusion sont deux valeurs fondatrices de Christian Louboutin depuis sa création en 1991, ainsi que l’artisanat avec une utilisation de belles matières», rappelle ainsi Isabelle Durand, directrice expérience client, omnicanal et performance Monde de la griffe de souliers. L’entreprise de mode de luxe dispose aussi d’ateliers sur-mesure et de réparation depuis ses débuts. La démarche RSE a commencé il y a trois ans avec la création d’un comité dédié de cinq personnes et la nomination d’une vingtaine de référents pour interagir avec le siège et coordonner les actions, puis le recrutement de Charlotte Tranchant, au poste de chargée de projets RSE. Plus concrètement, la marque organise des séminaires et des exercices pratiques, dont la fresque du climat, et les objectifs RSE sont désormais pris en compte à hauteur de 15% dans les évaluations annuelles des managers. Pour réussir dans ces projets, elle mise «sur la digitalisation, le bon sens et le pragmatisme». A la tête de 165 boutiques dans le monde sous différents formats, elle a notamment réalisé le bilan carbone de plusieurs concepts en Chine, aux États-Unis et à Monaco. Le cabinet APESA qui est intervenu dans cette analyse, a démontré le poids de la consommation lié à la climatisation et à l’éclairage, en fonction aussi du mix énergétique de chaque pays et de l’amplitude des horaires d’ouvertures des boutiques. «Nous réfléchissons à comment nous allier à d’autres entreprises pour mener ce combat, sur les horaires d’ouvertures par exemple», assure Isabelle Durand. Différentes actions sont actuellement mises en place pour analyser les achats responsables (vitrines, sacheries..) Enfin, la maison a aussi fait le choisi de matériaux durables pour concevoir ses boutiques et elle n’hésite pas à expérimenter de nouvelles matières comme des moquettes plus résistantes.

RSE jusqu'aux magasins @clesdudigital
Thibaut Ringo, Frédéric Mugnier, Isabelle Durand Richard, Charles Le Gal Huaumé et Marc Bouzik

Identifier les meilleures pratiques en boutique

Comme Christian Louboutin, la marque de mode Sessùn est aussi profondément attachée à l’artisanat. Mais elle reste discrète, communiquant peu sur son approche de la RSE. Société à mission depuis mai dernier, en cours de labellisation B-Corp, l’entreprise compte 80 boutiques en Europe. Elle devrait en ouvrir une quinzaine l’an prochain et est distribuée dans un réseau de 460 multimarques. Elle a mis en place un comité RSE composé à 50% de représentants du commerce de détail et à 50% de membres du siège. «La RSE n’est pas un argument marketing pour nous et notre sensibilité est tournée vers le social», raconte Charles Le Gal Huaumé, directeur Retail France et Europe. Un premier baromètre social a été instauré ainsi qu’un nouveau règlement intérieur avec une charte managériale. La marque a initié un «crédit engagement» pour encourager ses collaborateurs à mener des actions sociales pendant une journée. Elle n’hésite pas à restructurer les plannings, offrant des samedis de congés toutes les six semaines aux employés à temps plein et elle cherche à annualiser le temps de travail.

L’entreprise s’est aussi engagée à offrir au minimum 9 m² d’espace social aux collaborateurs dans chacune de ses boutiques et elle externalise ses ressources pour la réalisation des colis en magasin. Les frais de personnels à hauteur de 18% en 2023 devraient passer à 20% en 2024. «Nous mesurons l’engagement de nos équipes, récoltons leurs avis avec l’application Yoobic», ajoute Charles Le Gal Huaumé. L’entreprise travaille également sur la durabilité de ses magasins, cherchant à réduire leur empreinte carbone. Chaque boutique est analysée pour identifier les meilleures pratiques écologiques.

Autre exemple, celui d’Altermundi, un réseau d’une quinzaine de concept-stores du groupe SOS proposant des produits éco-responsables depuis 20 ans. «Au départ nous proposions des articles de petits producteurs avant de nous ouvrir aux marques comme Faguo, Patagonia», précise Thibaut Ringo, directeur général. Entreprise d’insertion (20% des équipes Retail d’Altermundi sont impliquées dans un parcours d’insertion), certifiée B-Corp depuis juillet dernier, avec une note de 122, ce qui en fait l’une des cinq entreprises en France les mieux placées sur ces critères, Altermundi recrute des équipes qui partagent son engagement et intègre des objectifs de RSE dans les entretiens annuels et les performances commerciales. Elle s’efforce de réduire son empreinte carbone en se concentrant sur les vêtements et les boutiques.

Multiplier les indicateurs

Faguo, enfin, est axée depuis sa création sur la cause environnementale et n’a pour sa part pas nommée de responsable RSE, «car la RSE doit être une responsabilité partagée par tout le monde» estime Frédéric Mugnier, co-fondateur. L’entreprise créée en 2008 et qui mesure régulièrement son empreinte carbone ( 72% des émissions de CO2 émanent des collections) a initié cinq indicateurs pour analyser tous les deux mois le nombre de réparations effectuées, de vêtements de seconde main repris, recyclés… «Demain, nous serons capables de pivoter», assure Frédéric Mugnier. A ces analyses s’ajoutent des entretiens annuels des équipes avec des « Objectifs de Développement Durable » (ODD) fixés pour chacun. Pour impliquer ses collaborateurs, une prime est allouée en fonction d’indicateurs RSE adaptés à leurs contributions (reprise et vente de vêtements d’occasion). «Avec ce suivi des KPIs, ces tableaux de bord, nous voyons comment nous évoluons dans le temps. Sur ce marché très promophile, nous voulons être dans le«fair price» et ne pas solliciter nos clients avec des promotions. Notre conviction est qu’il faut réduire de moitié la consommation de vêtements», affirme Frédéric Mugnier.

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