Dotée d’un profil atypique et d’un appétit insatiable pour l’innovation, Kat Borlongan est passée par l’entrepreneuriat et la sphère publique à la direction de la mission French Tech et a récemment été recrutée par Contentsquare au nouveau poste de chief impact officer. Un rôle qui lui tient à cœur et qu’elle voudrait voir essaimer dans tout l’univers des startups.
Originaire des Philippines et à peine sortie de l’adolescence, Kat Borlongan fuit ce pays dont le pouvoir politique menace sa famille et en particulier son père, banquier et dissident politique. Elle veut aussi échapper à ces traditions bien ancrées qui veulent que chaque femme devienne l’épouse de quelqu’un. «Dans ce pays grand par sa population de 100 millions d’habitants, mais petit par ailleurs, je voulais être moi-même», dit-elle sobrement. Elle a rencontré des étudiants qui lui ont parlé de la France où elle pourrait travailler et étudier sans trop s’endetter. Anglophone, elle ne maitrise pas le français quand elle débarque à Paris et intègre la Sorbonne dans un programme d’échanges pour un cursus en langues étrangères. Sa priorité du moment est d’apprendre rapidement la langue pour passer un examen quelques mois plus tard qui lui donnera le sésame pour rester.
«Je devais apprendre la participe passé en quelques semaines». Tous les moyens sont bons pour assimiler le vocabulaire. «J’avais collé des post-its sur des objets un peu partout dans mon logement pour apprendre et retenir le nom de chacun d’entre eux. Des amis étudiants me conviaient à des films en français ou me faisaient décrypter les programmes de candidats politiques car nous étions à une période électorale. J’ai appris la langue de manière atypique mais grâce à des personnes bienveillantes». Elle apprend si vite et si bien qu’elle sera reçue quelques mois plus tard, comme seule candidate étrangère, au concours de Sciences Po Bordeaux. «Quand on m’a parlée de cette école, j’ai mis un peu de temps à comprendre son positionnement mais j’avais été aussi un peu déçue par la fac et je voulais apprendre plus, et plus vite». Elle quittera cette école avant sa quatrième année car, après un stage effectué chez Reporters sans Frontières au Canada, l’ONG l’a rappelée pour qu’elle dirige le bureau régional après en avoir été l’assistante de la direction. «Cette organisation fait rapidement confiance aux jeunes et avec mon expérience familiale, avec un père qui avait été enlevé quand j’avais 14 ans, je connaissais la gestion de crise, je savais comment gérer les situations quand les journalistes se font kidnapper». Elle quittera ensuite RSF pour suivre un cursus à la prestigieuse Université McGill ou elle obtiendra son « master’s degree » puis elle rentre à Paris.
La découverte de l’open data
Bilingue et diplômée, elle croit pouvoir rapidement trouver un job dans l’univers de la communication et de l’innovation. Chez RSF elle a pris goût aussi à la techno en se frottant à des sujets autour de la cybersécurité, du chiffrage des communications ou des données. Mais une fois encore rien ne se passe tout à fait comme prévu. «J’ai postulé chez Google, dans des cabinets d’affaires publiques, mais personne ne m’a recrutée». Alors qu’elle a découvert l’open data, sujet encore nouveau qui désigne ce mouvement, né en Grande-Bretagne et aux États-Unis, d’ouverture et de mise à disposition des données produites et collectées par les services publics, elle se lance dans l’entrepreneuriat. En 2013 elle fonde avec Chloé Bonnet, Five by Five, une start-up dont la mission est d’accompagner des entreprises et des ONG vers l’innovation. «J’ai rencontré pas mal d’immigrés qui avaient cet esprit d’entreprendre. Quand on est un peu désavantagé notamment en termes de langue, il semble que cette voie semble plus naturelle».
Très vite, la jeune pousse séduit de grands clients dont Google, Facebook, La Sncf ou la Banque Mondiale. «On pensait démarrer en mode freelance et la boite a décollé. Nous étions jeunes et avons eu la chance de rencontrer de grands clients, de débarquer dans des Comex avec notre expertise et peu de concurrents», sourit Kat Borlongan. Le succès est tel que Capgemini identifie la jeune pousse dans ses radars et la rachète cinq ans plus tard. Depuis elle a changé de nom et est devenue Frog. Intégrée au sein de Capgemini Invent, elle réunit une équipe de designers, de créatifs et d’experts en stratégie et en innovation.
Le tremplin de la French Tech
C’est une toute autre aventure qui attend désormais Kat Borlongan. Avec son profil atypique, elle va capter l’attention de Mounir Mahjoubi, un secrétaire d’État au Numérique qui sort du rang lui aussi. Il est à la recherche d’une ou d’un candidat/e pour diriger la mission gouvernementale French Tech. «Il voulait aussi secouer le système». Mais quand on lui propose le poste, sa première réaction sera de le refuser. «Je n’arrivais pas à me projeter dans cet univers de costards bleus et de chemises blanches». Mais le lundi matin après des encouragements de startuppers, elle enverra un message «à 8h59» pour accepter la mission. «Mon accent, mes origines, ma jeunesse. .. je me disais que si on m’avait proposée ce poste, en connaissance de cause, on allait me faire confiance».
Intronisée fin mai devant 3000 personnes lors d’un salon Vivatech, elle va s’atteler à de nombreuses tâches comme celles de mettre en place le Next40, le classement des start-up françaises les plus dynamiques, le French Tech Tremplin, un programme en faveur de la diversité, ou encore à renforcer le French Tech visa, une procédure simplifiée pour les investisseurs, fondateurs et collaborateurs de startups non-européens qui veulent s’installer en France. «Contrairement à ce que l’on peut penser de l’État, je n’ai pas eu besoin de passer mon temps à convaincre que c’était important. J’étais très focalisée sur la structuration de l’exécution et en quatre ans nous avons sorti des merveilles. La French Tech est un véritable tremplin». Le nombre de startups valorisées à plus d’un milliard d’euros passera de trois à son arrivée à 17 à son départ l’été dernier quand Cédric O, l’actuel secrétaire d’État à la Transition Numérique, met fin à ses fonctions. Mais Kat Borlongan a eu le temps de s’enticher d’un nouveau sujet de prédilection qui a pris toute sa dimension pendant cette crise sanitaire : celui de la «transformation positive».
En organisant des « opens class room » pour que les enfants continuent à étudier, en livrant des produits alimentaires à domicile, en diffusant des films à la maison, les startups ont montré combien leur rôle pouvait être essentiel mais la startup nation est encore un peu à la traine sur ces sujets de la responsabilité. «Je voulais mettre les mains dans le cambouis et j’ai activé mon réseau pour connaitre des startups animées par ces sujets d’impact. Quand j’ai rencontré Jonathan Cherki (le directeur général de Contentsquare, ndlr), il avait une vision très claire. Au départ je ne voyais pas bien quel pouvait être le lien entre l’expérience utilisateur sur Internet, spécialité de Contentsquare, et l’impact. Mais Jonathan m’a parlé de ses ambitions, de sa volonté d’être encore à la tête de son entreprise dans trente ans, de vouloir en faire la plus grande boite de software mondiale et d’accélérer aussi sur l’accessibilité de l’internet au plus grand nombre. J’ai trouvé son engagement impressionnant. Et Contentsquare est une entreprise qui va extrêmement vite et qui doit se structurer en permanence. S’occuper de la diversité, de l’empreinte carbone est un vrai et un nouveau challenge».
Nommée « chief impact officer » et membre du Comex, Kat Borlongan occupe désormais un nouveau poste transversal au sein de l’entreprise au même titre que Pierre Casanova, chief revenue officer. Ses missions sont de promouvoir l’accessibilité au numérique, (en 2020, Contentsquare avait déjà racheté Adapte Mon Web), de favoriser la formation aux métiers de l’expérience utilisateur car il y a une «pénurie sur ces métiers et de nombreux étudiants au chômage», d’impulser aussi la dimension « Contentsquare for good» en utilisant la technologie pour des causes sociales. En interne, elle va bâtir une équipe dédiée aux sujets de diversité et d’inclusion, du climat et de la protection de la vie privée. «J’ai déjà récolté plein d’idées. Tout le monde est amené à donner les siennes et je découvre de nombreuses histoires personnelles d’engagements et de bénévolat».
Son rêve est désormais de réussir à déclencher un effet d’entrainement pour que d’autres startups empruntent la même voie. «J’aimerais que dans deux ou trois ans, la moitié d’entre elles aient créé ce poste de chief impact officer». Et pendant son temps libre, Kat Borlongan continue inlassablement de militer pour ces sujets. Elle est membre de l’European Innovation Council, le Conseil européen de l’innovation, créé par la Commission européenne visant à diversifier les innovations prometteuses et qui apporte notamment un soutien aux PME pour les aider à développer plus rapidement des innovations de rupture. «Je milite beaucoup pour l’innovation. Si on prend l’ensemble des startups du Next 40 elles sont encore loin de géants comme Stripe». Européenne convaincue, Kat Borlongan a aussi acquis la nationalité française en août dernier. «C’est mon chez moi», affirme t-elle aujourd’hui.
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