L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance dévoile dans son rapport « Commerce Reloaded » comment la crise sanitaire précipite l’avènement d’un nouveau monde
La fluidification des parcours client, l’automatisation de l’acte d’achat et la livraison en une heure ont été les premiers signes d’un « commerce ambiant », tel que le qualifiait en 2014 L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance dans son rapport sur les évolutions du monde du commerce. Aujourd’hui, les auteurs qui analysent depuis dix ans les innovations technologiques qui vont impacter le commerce de demain, dressent les contours d’un «écosystème mutant». La crise sanitaire a précipité la mutation digitale qui s’étend désormais à toutes les dimensions du quotidien touchant même les derniers bastions comme l’éducation, la santé et le travail. «Avec la pandémie, nous avons atteint un point de non-retour dans la digitalisation, que ce soit en tant que consommateurs, à titre professionnel ou même personnel», décrypte Nicolas Diacono, analyste tendances digitales de L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance. «Il devient probable que le e-commerce représente 50% des ventes d’ici quelques années. Il va évoluer et se réinventer autour du concept de commerce ambiant que nous évoquons depuis un moment déjà».
Digitalisation à marche forcée sans retour en arrière
Les auteurs font état de l’accélération sans précédent d’une digitalisation sans retour en arrière possible. «Jamais l’humanité n’avait passé autant de temps derrière ses écrans : médias sociaux, streaming, jeux vidéo, télétravail, visioconférences… le monde s’articule plus que jamais autour du numérique. Les géants de la technologie deviennent les garants de ces nouveaux usages, et s’emparent chaque jour un peu plus de notre quotidien à base de données et d’intelligence artificielle». Le virus s’est imposé comme le nouveau «chief innovation officer» et va continuer lors des prochains mois. Les consommateurs sont en quête de nouvelles sources de divertissement, de praticité et de sécurité pour leurs achats tout en recherchant du lien social et la crise a permis l’émergence de nouvelles plateformes dans le monde digital. «Cette digitalisation à marche forcée semble, aujourd’hui, se transformer en une formidable opportunité pour que les acteurs du commerce se réinventent».
Shopify grand gagnant de la crise sanitaire
«Pour Jamie Dixon, CEO de JP Morgan & Chase, la pandémie a accéléré la digitalisation d’environ deux ans pour 70% des acteurs économiques américains. Le « shop streaming » chinois a vu son chiffre d’affaires doubler en 2020 pour atteindre l’équivalent de 134 milliards d’euros. Il représente désormais près de 13% du e-commerce du pays. Conséquence directe, de Carrefour à Walmart, les distributeurs se lancent à l’assaut de ce nouveau format de vente». Tik Tok qui veut surfer sur cette tendance a développé un programme d’affiliation en lien avec sa « Creator marketplace » pour que les marques puissent trouver les bons influenceurs pour faire la promotion de leurs produits et solutions. La plate-forme de commerce électronique en mode SaaS Shopify (avec laquelle Google vient d’étendre son partenariat) apparait pour sa part comme la grande gagnante de la pandémie. Utilisée par 1,7 million de sites marchands, elle comptabilise en 2020, selon le rapport, quelques 120 milliards de dollars de transactions, soit 40% de la marketplace d’Amazon. «Le grand gagnant de la pandémie et la plus grande menace pour le géant de Seattle semble bien être canadien», estiment les auteurs.
Le commerce se transforme de manière radicale
La crise a démultiplié l’usage du commerce sans contact. Mais en parallèle, les distributeurs doivent intégrer les enjeux environnementaux dans leurs réflexions stratégiques. «Du streaming au self-checkout, le monde de la distribution trouve les thérapies qui lui conviennent le mieux. Face aux menaces environnementales de demain, le commerce doit s’engager pour devenir le garant d’une consommation responsable, de notre bien-être et donc de notre futur. Nous sommes au début d’une nouvelle ère, dont la cellule souche apparaît être celle de l’économie circulaire». A l’heure du Covid, la sécurité des clients et des salariés est devenue un pré-requis entrainant la multiplication des contrôles vidéos, l’usage de caméras thermiques, l’explosion des paiements sans contact, des solutions et applications mobiles de self-scanning, de drive ou click & collect, des hubs logistiques de proximité et des dark stores (l’espagnol Glovo en prévoit l’ouverture d’une centaine d’ici la fin 2021 contre seulement dix-huit en début d’année) tandis que les livraisons autonomes avec des robots prennent leur envol. Ce dernier marché pourrait atteindre 33 milliards d’ici 2030 selon une étude d’Euromonitor et près de 50% des Européens seraient enclins à se faire livrer par des robots ou drones de livraison tant que cela permet de raccourcir les délais de livraison. Pour 55% des consommateurs ces délais devraient être de deux heures alors que seulement 19% des distributeurs sont aujourd’hui capables d’assurer une livraison en moins de 48h.
Logistique durable et commerce engagé
Il s’agit aussi de repenser le design et la logistique de matière durable. Ikea s’est d’ailleurs mis à vendre des pièces de rechange. Castorama récupère les vieux vêtements, comme les jeans, pour les transformer en isolant thermique ou phonique depuis quelques années avec l’isolant éco-conçu Métisse. Samsung propose de transformer ses emballages de télévision en meubles d’appoint. La start-up finlandaise RePack a imaginé pour sa part des emballages réutilisables et travaille actuellement avec plus de cent cinquante marques en Europe et en Amérique du Nord. L’avenir appartient à un commerce engagé. «Pour 90% des jeunes nés au début des années 2000 (GenZ), les entreprises ont le devoir de s’investir contre le réchauffement climatique et de lutter contre les inégalités. Le commerce embrasse dès à présent ces nouvelles attentes, comme l’atteste par exemple le déploiement de places de marché de produits d’occasion. L’avenir du magasin physique se trouve dans les échanges sociaux. Les boutiques telles que nous les connaissons sont amenées à devenir des outils de support du e-commerce, et devront impérativement intégrer une dimension durable et responsable. Leur rôle risque d’évoluer considérablement au cours des prochaines années, spécialement pour les grandes enseignes», observe Nicolas Diacono. L’économie circulaire devient un marché d’avenir et les marques et les enseignes testent et lancent de nouvelles offres d’abonnement (« We play circular » de Decathlon en Belgique, « The Lauren Look » de Ralph Lauren) ou de produits d’occasion (Ikea qui permet aux clients de revendre leurs anciens meubles. Carrefour Occasion partenaire de Cash Converters, La Redoute et Cdiscount, site d’occasion de Decathlon…)
Les constructeurs automobiles : nouveaux fournisseurs de services
L’avenir passe aussi par une mobilité multimodale et connectée faisant du logiciel le vecteur d’une profonde transformation du secteur automobile vers le serviciel. La question se pose pour les constructeurs qui ont le choix de pactiser avec les géants de la technologie, ou bien de devenir eux-mêmes des «software companies». Face à cette révolution annoncée, Volkswagen, Renault, Mercedes-Benz ont décidé de franchir le pas de la révolution numérique. Le rapport cite de nombreux exemples. Renault sera le premier constructeur à offrir l’ensemble des services de Google Automotive Services (GAS), soit l’accès à la totalité de l’écosystème de Google (Google Maps, Google Play, Google Voice…), sans la nécessité d’un smartphone. Le but ultime de Volkswagen est de créer son propre « operating system », le VW OS, afin d’être totalement indépendant des systèmes de Google, Amazon, Facebook, Apple ou Microsoft. Lors du dernier Consumer Electronics Show (CES), Mercedes-Benz a lancé son MBUX Hyperscreen, soit un écran haptique intégrant une plateforme de services, boosté avec l’intelligence artificielle de son propre OS (Mercedes-Benz Operating System – MBOS). Les constructeurs asiatiques comme SAIC ou Geely ne sont pas en reste et accumulent les partenariats avec les géants de la tech tels que Baidu, Tencent, Alibaba et Foxconn en vue de devenir de véritables fournisseurs de services du quotidien. Le rapport n’a pas encore eu le temps de citer Stellantis, le groupe automobile né de la fusion de PSA avec Fiat-Chrysler, qui vient tout juste d’annoncer la signature d’un accord avec Foxconn pour faire des tableaux de bord avec écrans géants pour la voiture électrique connectée.
Ce secteur automobile est aussi le bâtisseur des villes de demain
Toyota, le géant nippon a ainsi recruté en 2016 un ancien de Google, James Kuffner pour développer un OS ouvert appelé « Arene », qui sert de base à sa ville, « Woven City », inaugurée mi-février 2021. Des technologies telles que l’autonomie, la robotique, la mobilité personnelle, les maisons intelligentes et l’IA pourront ainsi être développées et testées dans un environnement réel. «Les constructeurs automobiles veulent sortir de leur cadre restreint de fournisseurs de véhicules. Ils souhaitent collecter un maximum de données et les exploiter au mieux. Leur but avoué est de vendre, sous forme d’abonnement, un maximum de services, allant même imaginer les villes de demain», résume Guillaume Rio.
Les startups, géants de la tech et retailers prennent d’assaut le marché de la santé
L’autre révolution concerne le secteur de la santé. La crise sanitaire qui remodèle le système existant laisse en effet la place à de nouveaux entrants : géants de la tech, distributeurs, startups… Ces « health-tech » ont levé près de 14 milliards de dollars depuis l’arrivée du Covid. «La digitalisation de la médecine a largement profité à des startups comme Teladoc, valorisée désormais à plus d’un milliard de dollars. Avec plus de 35 milliards d’objets connectés à travers le monde en 2021, l’Internet des Objets (IoT) bientôt boosté à la 5G, n’a pas fini sa conquête. Selon Allied Market Research, l’IoT médical devrait avoir une valeur nette de 136,8 milliards de dollars dans le monde d’ici à 2021, ce qui représente 40 % de l’ensemble des objets connectés». Les « wearable », objets portables connectés se généralisent. À l’horizon 2023, le marché mondial de la e-santé pourrait ainsi représenter 235 milliards de dollars selon le cabinet Frost & Sullivan. Les géants de la tech américains et chinois se positionnent désormais sur ce marché prometteur. «L’ambition affichée par les grands noms du numérique est de mettre en place un suivi de santé avec des services annexes tels que l’assurance individualisée et en temps réel, et ce grâce aux objets connectés et à l’IA. Apple, Tencent, Amazon… tous cherchent à désintermédier le système médical existant». Depuis mars 2020, les acteurs du retail américain qui se sont impliquées dans la campagne de vaccination sont eux aussi devenus jour après jour des acteurs prépondérants de la santé pour des millions de citoyens. Walmart, Kroger, Target s’invitent dans le quotidien des consommateurs, jusqu’à devenir de véritables tiers de confiance. «Si le monde continue à compter sur les mesures classiques de santé publique pour lutter contre la pandémie, il existe de nos jours une multitude de technologies connectées pour accélérer ce combat. Nous allons rentrer dans l’univers de l’intelligence ambiante, où les objets communicants se coordonneront pour nous rendre service, nous faciliter la vie, faisant de notre corps un véritable réseau d’informations de santé en temps réel», analyse encore Guillaume Rio.
Le nouvel empire des « entreprises-écosystème » offrant des services connectés
Une nouvelle cartographie du commerce a émergé : celle des écosystèmes. «Le commerce a élu depuis plusieurs années ses nouveaux leaders, les GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Néanmoins, cette cartographie est de plus en plus disputée. La « company-as-a-Service », soit l’entreprise-écosystème, est l’affaire de tous, et chacun a intérêt à assimiler le paradigme du « tout-serviciel » connecté, s’il veut faire partie du monde de demain». Tous les univers sont concernés à commencer par l’automobile qui «rentre de plein fouet dans le monde du serviciel» mais aussi les acteurs de la mobilité, de la livraison au « car sharing », à l’instar des « super app » telles que Gojek ou Grab. La première est une start-up indonésienne, éditrice d’une application pour mettre en relation des livreurs à moto et leurs clients, qui s’est vite transformée en une « super app » proposant un grand éventail de services, allant de la livraison de nourriture aux services de santé, de loisirs ou des services financiers. Grâce à cet écosystème de services, elle capte au quotidien 38 millions d’utilisateurs issus de tout le sud-est asiatique, traite près de 12 milliards de dollars de transactions avec son service de paiement Go-Pay et couvre plus de 500 000 commerçants. La société vient tout juste d’annoncer son alliance avec le leader du commerce électronique Tokopedia pour donner naissance à GoTo Group qui sera valorisée au minimum 18 milliards de dollars. Grab est son concurrent singapourien et vient de conclure un partenariat avec Citi afin d’intégrer l’offre de crédit à la consommation « Quick Cash » de cette dernière au sein de son application mobile, de manière totalement transparente. La start-up qui prépare pour sa part une introduction au Nasdaq qui la valorise à près de 40 milliards de dollars.
Le secteur bancaire est lui aussi concerné. Ana Botin, CEO de Santander, a récemment fait part de ses inquiétudes concernant l’intégration de la brique financière par des écosystèmes tels que ceux des GAFAM et des BATX. Selon La Banque des règlements internationaux (BRI), en 2020 les géants de le tech et les fintech auraient accordé 795 milliards de dollars de crédits dans le monde. Guerman Gref, son homologue à la Sberbank en Russie, affirme pour sa part que sa banque est devenue «plus qu’un assistant financier, un assistant dans la vie qui résout toutes tâches urgentes au quotidien».
Les grandes enseignes tentent elles aussi à l’image des marketplaces numériques, de tisser des écosystèmes convergents. Dans son rapport l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance s’est penché sur Cdiscount, acteur majeur du e-commerce en France qui «n’arrête plus de cumuler les nouvelles offres et propositions de services, de la même façon qu’Amazon ». En quatre ans, de 2017 à 2021 c’est plus de dix nouveaux services qui se sont greffés à l’offre initiale. «Aujourd’hui, nombreux sont les acteurs du e-commerce à vouloir pénétrer dans nos vies. Et ils y parviendront, en imposant leurs règles», alerte Guillaume Rio. «Avec une audience atteignant souvent plusieurs centaines de millions d’utilisateurs, leur pouvoir est croissant. Ils centralisent et monitorent l’intégralité de nos données — maison, voiture, santé… — en vue d’articuler leurs offres, pour le bénéfice, mais aussi la captivité des utilisateurs».
L’ère des technologies de synthèse
Enfin, les technologies de synthèse sont en train de chambouler nos modes de consommation. «Le commerce doit se préparer à accueillir de nouveaux produits issus de laboratoires de recherche et voir émerger de nouveaux drivers de consommation». Les mondes de synthèse ne sont plus de la science-fiction : ils sont réels. Les médias de synthèse ont le pouvoir de redéfinir la création de contenus numériques, d’altérer notre perception du réel, de créer des expériences virtuelles hors du commun et même faire trembler nos démocraties. Les applications de changement de visage comme Reface ou Doublicat connaissent un grand succès. «Ce dernier laisse entrevoir une généralisation des contenus créés et altérés par les algorithmes Aujourd’hui, les algorithmes peuvent copier la voix d’un individu pour lui faire dire ce que l’on veut dans le cadre d’une vidéo. On peut également lui faire parler plusieurs langues avec la tonalité de sa voix».
Que ce soit pour trouver un vaccin, définir notre régime alimentaire, créer l’alimentation du futur, voire allonger l’espérance de vie, la biologie de synthèse s’immisce pour sa part dans notre intimité. «19% des consommateurs européens sont prêts à donner leur profil génétique pour recevoir des offres plus personnalisées et adaptées à leur propriétés physiques, selon une étude récente conduite par Euromonitor. La « nutrigénomique » pourrait bientôt se glisser au cœur de nos choix alimentaires ». L’alimentation pourrait elle-même se réinventer autour des fermes urbaines et de l’agriculture cellulaire. L’entreprise agroalimentaire Notco, société dans laquelle Jeff Bezos a investi, produit par exemple d’ores et déjà du lait avec une réduction de 70% des émissions de carbone.
Les doubles digitaux s’immiscent quant à eux dans l’économie, que ce soit pour l’automobile, l’énergie, le commerce ou même à titre personnel. Amazon conçoit déjà des copies numériques des villes dans le but d’entrainer les algorithmes de ses robots de livraison. «Nous débutons une décennie qui sera certainement celle des technologies de synthèse. Que ce soit dans le domaine du numérique ou du vivant, le pouvoir des algorithmes va créer de nouvelles économies, virtuelles et réelles. Avec des vaccins nouvelle génération, des solutions thérapeutiques innovantes ou encore la nutrigénomique, il se pourrait que l’ADN soit le futur gouvernant de nos vies», analyse Nicolas Diacono.
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