Cette « pire année de l’histoire » comme l’a qualifiée exagérément (au regard de l’histoire de l’humanité) l’éditorialiste du Time Magazine, aura durement secoué le secteur du retail. Aucun institut d’études ou de prospectives n’aurait pu prévoir à la fin 2019 ce que le monde allait vivre en 2020. Le marché du commerce de détail perdra cette année 1800 milliards de dollars (1467 milliards d’euros dont 56 milliards d’euros uniquement pour la France) selon les prévisions de Forrester publiées en avril dernier. Les entreprises fragilisées avant la crise sanitaire n’auront pas survécu et d’autres défaillances sont à craindre en 2021. Les plus agiles ont accéléré leur transformation numérique en s’appuyant sur les bons outils technologiques et surtout sur leurs ressources humaines et sur des capitaines capables d’affronter la tempête. Année de gros temps et incertitudes, 2020 aura aussi été celle de l’accélération numérique des modes de consommation.
Voici un résumé de quelques tendances qui auront marqué la période. Vous pouvez redécouvrir tous nos articles dans la rubrique « Prospectives », un recueil de sujets et d’analyses pour prévoir et anticiper cet avenir encore incertain.
Les mots de l’année : « Pourquoi ? » et « Rupture de stock »
Une année 2020 pleine d’incertitude et de questions. Et assez logiquement, le mot « pourquoi » a été plus recherché que jamais selon les statistiques de Google qui dresse un panorama des principales recherches. « Pourquoi le Covid-19 est-il dangereux ? Pourquoi dit-on la Covid ?», indique une note de Google ajoutant que pour les spécialistes du marketing, « Comment faire un masque ? » pourrait bien être la question la plus représentative de 2020. «Elle révèle la volonté de s’adapter des consommateurs et leur besoin pour un produit qu’ils n’utilisaient pas jusque-là. Ils ont aussi cherché à en savoir plus sur l’approvisionnement de leur magasin : en France, la recherche sur les mots “rupture de stock” a par exemple progressé de 50% par rapport à l’année précédente.»
Les paiements sans contact s’envolent
Selon une étude de Visa menée par GfK concernant l’impact de Covid-19 sur les habitudes de paiement en Espagne, en France, en Italie et au Portugal, la France était déjà le pays qui avait le moins recours aux paiements en espèces parmi les pays interrogés (77% des Français contre 86% en Italie et 83% en Espagne et Portugal) et la crise sanitaire est venue renforcer un peu plus l’adoption des solutions de paiement digitales. L’étude met en exergue une baisse de 34% des paiements en espèces en France ainsi qu’une augmentation de l’utilisation du sans contact (+42%) et des paiements par carte (+34%) en parallèle. Le e-commerce, pour sa part, fait un bond de +37%.
De plus, de nouveaux modes de paiement apparaissent : +8% utilisent les portefeuilles numériques en ligne, + 6% pour le paiement mobile en magasin et + 2% pour les portefeuilles numériques ou applications qui permettent de débiter directement un compte. Une autre étude d’OpinionWay pour Dalenys sur la “Digitalisation du commerce : les attentes des Français en 2021″ réalisée les 25 et 26 novembre derniers, révèle que le paiement concentre la majorité des attentes des Français en termes d’innovation. Plus de sept Français sur dix sont intéressés par au moins une solution digitale innovante d’achat ou de paiement dans les commerces.
Le « click & collect » plébiscité
Plébiscité à 80%, le « click & collect » est appelé à durer pour une majorité de Français selon cette même étude de Dalenys. 73% des sondés pensent qu’il va changer durablement les pratiques de consommation. 85% des Français estiment que les commerces auraient intérêt à renforcer leurs services de « click & collect. Ce plébiscite est particulièrement fort chez les personnes d’âge moyen (35 à 49 ans) et les familles. 90% des personnes ayant des enfants au foyer pensent en effet que les commerces devraient renforcer cette offre contre 83% pour ceux qui n’en ont pas. Et 36% des Français ont utilisé les services de « click & collect » auprès des commerces fermés qu’ils fréquentent habituellement.
Par ailleurs le grand gagnant de la digitalisation pour 80% des Français est le secteur des technologies et des appareils électriques (électroménager, hifi, informatique), suivi par ceux du jouet, du bricolage, de l’habillement et des chaussures et le secteur des produits d’hygiène corporelle, de cosmétique et de parapharmacie (entre 68% et 67%). Les secteurs de l’alimentation (63%), de la librairie (57%) et de la décoration (55%) sont pour leur part moins perçus comme avancés. Enfin la restauration ferme la marche à 46%, 10% des Français estimant même qu’elle est très en retard sur ces aspects. Une digitalisation des services qui varie également selon le type de commerce.
La déferlante du shopping vidéo
Les experts de Google l’ont constaté : les consommateurs passent plus de temps que jamais à la maison mais le besoin humain fondamental de partager des expériences reste intact. Du coup, les internautes se tournent de plus en plus vers des vidéos pour s’informer, se divertir et rester en contact. D’après les prévisions, en 2022, plus de 80 % du trafic Internet grand public sera consacré aux vidéos en ligne. «Cette tendance devrait s’accentuer en raison de l’accélération de la transition digitale pendant la pandémie. La durée de visionnage de vidéos en ligne sur les écrans TV a augmenté et 15 millions de Français regardent YouTube sur leur télévision tous les mois».
Lancée en 2016, l’application TikTok qui permet de partager des vidéos de 15 secondes, musicales, humoristiques ou encore de lancer des challenges à d’autres utilisateurs, compte 800 millions d’utilisateurs actifs dans le monde (Datareportal 2020) Elle a dépassé les 2 milliards de téléchargement sur l’Apple Store et sur Google Play en 2020. Avec ce nouveau canal, les marques peuvent communiquer différemment avec les consommateurs. Google note que certaines ont déjà franchi le pas comme la marque suisse de chaussures « On » qui a créé un événement en direct sur YouTube pour le lancement de nouvelles baskets..
C’est aussi un nouveau canal d’achat qui émerge. Baptisé « live stream shopping », « shoppable video commerce » ou tout simplement « video shopping », il permet de diffuser des événements en direct (ou en replay) sur Internet et de présenter des produits à acheter de manière interactive. En Chine, le canal « live stream shoppable » existe depuis 2013 et plus de 100 000 marques l’ont déjà utilisé selon Latentview Analytics. La plateforme Taobao Live possède à elle seule 4000 présentateurs.
Les Gafam qui veulent également leur part du gâteau ont créé leurs propres outils. En juillet dernier Google a lancé aux États-Unis sa plateforme de shopping Shoploop pour découvrir des produits, les évaluer et les acheter. Amazon y travaille aussi avec Amazon Live. Le chiffre d’affaire global du live shopping devrait atteindre 413 milliards de dollars d’ici 2022 (337 milliards d’euros) selon les projections du cabinet Frost & Sullivan.
Le commerce perd des emplois, mais le numérique résiste
En novembre 2020, le commerce de détail et de gros a perdu 2 591 emplois après avoir reculé de 2 490 emplois en octobre selon le Rapport National sur l’Emploi en France. Le commerce se portait bien avant la crise et affichait des prévisions de création d’emploi positives. Dans la situation actuelle il est difficile de prévoir le moment du redémarrage de la création d’emplois dans le secteur, note le rapport.
Le secteur numérique s’avère pour sa part moins impacté que prévu, avec une baisse de chiffre d’affaires estimée à -4,6% en 2020 selon l’organisation professionnelle Syntec. La situation est contrastée selon les métiers : les éditeurs de logiciels s’en sortent mieux et devraient connaître une croissance de +0,3% par rapport à 2019, tandis que les ESN (entreprises de services du numérique) afficheront une baisse de chiffre d’affaires de -4,2%. Les activités de conseil en technologies sont plus particulièrement touchées avec un repli de -12,3% en raison de leur exposition aux secteurs aéronautiques et automobiles durement impactés par la crise sanitaire.
Sur le marché de l’emploi, la situation est mitigée : deux entreprises sur trois dans le secteur numérique disent avoir stabilisé ou augmenté leurs effectifs en 2020. Actuellement, l’ensemble du secteur numérique représente plus de 530 000 emplois, dont 80% de cadres et 93% de CDI. En 2021, le secteur numérique anticipe une croissance de +1% au global. Le retour de la croissance s’explique notamment par les dépenses IT qui connaîtront une hausse importante pour 53% des organisations (clients & prospects) en 2021.
C’est pour les éditeurs de logiciels que la reprise sera la plus rapide : +0,3% de croissance en 2020 (vs +6,6% de croissance en 2019) et +3,8% de croissance anticipée en 2021. La croissance est avant tout stimulée par les logiciels outils (+0,7% en 2020, +5,1% prévu en 2021). Les logiciels outils regroupent les outils analytiques, de gestion de données, de développement, d’intégration, d’orchestration et de mise en qualité. Le modèle du SaaS (hébergement et mise à jour des logiciels d’exploitation sur des serveurs distants) reste particulièrement dynamique et représente 40% des nouveaux projets au second semestre 2020.
Plus de télétravail, c’est plus de productivité mais moins de créativité
Une étude publiée en juin par le groupe spécialisé dans la protection sociale Malakoff Humanis indiquait que la part des salariés qui « souhaitent demander le télétravail après le confinement » avait augmenté de onze points par rapport au mois d’avril, pour atteindre 84% des salariés. 73 % des télétravailleurs en étaient satisfaits, un chiffre en hausse de sept points par rapport au mois d’avril. Et 43 % des nouveaux télétravailleurs estimaient que la crise a fait évoluer positivement leur appréciation du télétravail (12 points). Parmi les raisons qui ont convaincu ces nouveaux télétravailleurs : pour 80% des personnes interrogées, il s’agissait surtout d’avoir plus de souplesse et de flexibilité pour gérer ses tâches. L’autre raison importante : une plus grande autonomie et davantage de responsabilisation (44%).
Le télétravail est aussi bon pour l’économie selon un autre rapport publié cette fois par la direction générale du Trésor, organisme public rattaché au ministère de Économie. Il indique ainsi que la productivité des salariés augmenterait de 5 à 30 % à domicile. Mais d’autres études plus récentes montrent la face plus sombre de ce mode de travail qui s’installe. La santé mentale des salariés n’aurait ainsi «jamais été aussi basse» depuis le début de la crise, selon un baromètre de l’institut Opinionway publié en décembre. La moitié des salariés souffriraient de «détresse psychologique» depuis le reconfinement. Les plus touchés sont les jeunes qui affichent un taux de détresse psychologique de 70%, les femmes (58%), mais aussi les managers (56%). Sept salariés sur dix estiment que le management français serait «trop conservateur» et inadapté au télétravail.
D’autres enquêtes pointent des risques liés au télétravail comme la perte en créativité. Selon une enquête israélienne Startup Snapshot menée auprès de deux cents startups, 79% des entreprises interrogées estiment que le travail d’équipe et l’innovation sont fortement ou partiellement affectés par ce mode à distance. Si la tendance au télétravail se poursuit «l’innovation en souffrira à long terme, car l’absence de conversations à la machine à café limitera l’effet de volant de la création de nouvelles idées», avertit Tzahi Weisfeld, directeur général d’Intel Ignite interrogé dans The Times of Israël. «Il est très difficile d’innover dans le vide», estime t-il.
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