Jamais nos comportements de consommation n’auront été autant scrutés et analysés que pendant cette crise sanitaire. Alors que les études liées à l’impact du Covid-19 et surtout du confinement pleuvent, d’autres se penchent de plus en plus sur l’après, au moment où une bonne partie des commerces pourront réouvrir leur portes. Y aura-t-il comme certains l’espèrent un phénomène de « revenge shopping » ou les tendances qui se sont amorcées pendant cet épisode vont-elles s’installer durablement ? Le point avec les décryptages de plusieurs études et baromètres.
Une étude mondiale publiée le 30 avril par Forrester prévoit qu’en raison du coronavirus, les ventes au détail diminueront en moyenne de 9,6 % à l’échelle mondiale, soit une perte de 2 100 milliards de dollars. Forrester prévoit également qu’il faudra quatre ans aux détaillants pour dépasser les niveaux pré-pandémiques. Les ventes en magasin hors épicerie connaîtront une contraction de 20% en 2020.
Aux États-Unis, les ventes au détail diminueront de 321 milliards de dollars en 2020, soit une baisse de 9,1 % par rapport à 2019. En Europe, elles perdront 260 milliards d’euros dans l’UE-5 (Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne et Italie) en 2020, soit une baisse de 10,4 % par rapport à 2019. En France, la société de conseil et de recherche prévoit une perte de 56 milliards d’euros par rapport aux prévisions réalisées avant COVID-19, soit une baisse de 9,5 % par rapport à 2019. En Allemagne, c’est un recul de 60 milliards d’euros qui est annoncé, soit une baisse de 10 % par rapport à 2019. Pour le Royaume-Uni, les pertes atteindront 56 milliards de livres sterling, soit une baisse estimée à 11,4 % par rapport à 2019. La Chine est le pays le plus touché dans la région Asie pacifique, avec 192 milliards de dollars de ventes au détail perdues entre janvier et février 2020 par rapport à la même période 2019. « En 2020, on assistera à une baisse significative des ventes au détail dans le monde, en particulier pour les articles non essentiels vendus offline, ce qui constituera un grand défi pour les enseignes brick and mortar. Les ventes en ligne, en revanche, seront plus résistantes. Pour faire face à la crise, les détaillants doivent gérer leurs coûts et stimuler autant que possible leurs ventes et services en ligne », estime Michael O’Grady, analyste principal des prévisions chez Forrester
Les ventes en ligne résistent
Comme l’ont déjà confirmé plusieurs analyses, c’est en effet l’e-commerce qui profite de cette crise sanitaire. Le dernier baromètre Shopping Index de Salesforce qui analyse les données de l’activité de plus d’un milliard d’acheteurs dans le monde, note une croissance du commerce en ligne de 20% dans le monde au premier trimestre 2020 contre 12 % à la même période en 2019, et de 24 % en France. Entre le 10 et le 20 mars, les achats de biens de première nécessité ont fait un bond de 200 % dans le monde et sont restés élevés sur la fin du trimestre. Entre le 10 et le 20 mars, les revenus digitaux des sites pratiquant le « click and collect » ont augmenté de 92 %, contre 19 % pour les sites ne le proposant pas. Le rapport pointe aussi des pics de commandes en ligne de produits ménagers, de vêtements, de jouets et de jeux. Néanmoins, cette explosion d’achats en ligne ne compensera probablement pas la baisse significative des ventes physiques qu’auront subi les enseignes et les marques.
Bonne performances des sites d’équipement pour la maison
Un autre baromètre plus récent publié le 30 avril par Contentsquare et qui analyse plusieurs milliards de sessions sur 900 sites dans 26 pays, parmi 22 industries, démontre que la grande distribution, les marketplaces high-tech et l’équipement de la maison ont affiché des performances exceptionnelles. « En France avec le confinement qui se prolonge, les internautes s’équipent plus durablement pour le home office, embellissent leur intérieur et leur jardin, et cela se voit dans les KPIs : la semaine du 13 au 19 avril inclus, le trafic sur les sites du secteur équipement de la maison a augmenté de 22% et les taux de conversion de 58% (comparaison entre la moyenne par semaine pré-coronavirus 6 janvier-16 février 2020). L’accès des pages produit a également explosé : plus 26% pour les bureaux et plus 34% pour les tables, plus 36% pour les chaises et fauteuils et plus 59% sur les meubles pour enfants (en volume). Les visites de pages « plantes et meubles de jardin » s’envolent avec plus 45% et plus 53% à cause sans doute d’un effet du beau temps sur toute la France certains jours les semaines dernières ».
Regain de trafic pour les commerces de proximité et magasins bio
Fidme qui a réalisé une étude en France auprès des 5600 utilisateurs actifs de son application mobile sur la période du 8 au 13 avril 2020, et qui a analysé les données de 1,5 million d’utilisateurs actifs de son application entre le 24 février et 5 avril, constate également que les mesures de confinement ont suscité un bouleversement sans précédent du comportement d’achat des Français. « Bien avant la première allocution présidentielle du 12 mars, les courbes révélaient une forte accélération de la fréquentation des grandes et moyennes surfaces (GMS, réalisant au moins la moitié de leurs ventes dans l’alimentaire) de plus 13% en moyenne sur la période du 10 au 15 mars par rapport à la semaine précédente, lié à un phénomène de stock. Dès l’annonce de la fermeture des lieux publics et commerces non indispensables, le 16 mars, un chiffre record de visites a été atteint avec une augmentation de plus 83% par rapport à la semaine précédente. Cette frénésie d’achats a ensuite connu un ralentissement drastique dès les recommandations de confinement ». Les achats en GMS ont ainsi chuté en moyenne de 37% sur la première semaine de confinement du 17 mars au 23 mars par rapport à la semaine précédente.
Ces baisses successives ont bénéficié aux commerces de proximité et aux magasins bio, progressivement privilégiés par les consommateurs. Ils ont enregistré à partir du 30 mars un regain de visites de plus 3% par rapport à la semaine précédente pour les commerces de proximité et de plus 2% pour les magasins bio tandis que les visites en GMS se sont stabilisées à moins 7% en moyenne à partir de cette date. Les commandes en drive et les livraisons à domicile ont quant à elles grimpé de plus 43,41% par rapport au mois de février. Chronodrive a ainsi enregistré plus 68% d’ouvertures de cartes de fidélité drive entre février et mars 2020. «Malgré des achats effectués grâce à la reprise de certaines plateformes e-commerce, c’est sans surprise que l’on a pu assister au déclin des achats en GMS (hors grandes surfaces alimentaires) tout au long du mois de mars avec : moins 49,43% pour le sport, moins 44,10% pour la culture-loisirs, moins 39,79% pour la restauration, moins 37,26% pour la beauté, moins 33,78% pour la mode et moins 32,12% pour le bricolage-jardinage ». Les habitudes d’achat pendant le confinement ont changé à la fois sur la fréquence des visites, sur les horaires et sur le montant du panier moyen (passant ainsi de 56,80 € en février à 67,12 € début mars puis à 74,99 € fin mars) mais aussi sur l’organisation des achats. Soixante treize pourcents des personnes interrogées regroupent leurs achats et font donc leurs courses moins souvent et 57% des consommateurs préparent et planifient plus qu’avant leurs courses avec soin.
Certaines habitudes devraient perdurer
Sur les 24% des répondants qui ont opté pour le drive et la livraison pour leurs courses, un peu plus de la moitié (11%) comptent continuer après le confinement et parmi les 39 % qui ont privilégié les petits commerces pour leurs courses alimentaires, 9% déclarent qu’ils poursuivront cette démarche. Parmi ceux qui ont préféré s’approvisionner en circuits courts (36%) pour les produits frais, 14% déclarent qu’ils continueront par la suite et enfin parmi les 9% des consommateurs qui ont privilégié plus qu’avant les magasins bio, ils sont 2% à indiquer que cela deviendra une habitude. Cette tendance à mieux organiser les achats devrait perdurer pour plus d’un tiers des personnes qui l’ont mise en œuvre. « La réduction du niveau de vie engendre deux habitudes notables : 20% des répondants recherchent, plus qu’avant, les promotions, offres ou coupons pour faire plus d’économies et 16% comptent continuer après le confinement. Enfin sur les 21% qui comparent les prix avant ou pendant leurs courses, 15% comptent continuer après le confinement. Cette crise sanitaire amène chacun à repenser son mode de consommation, et met aussi en lumière de nouvelles pratiques qui devraient s’inscrire dans le temps », observent les auteurs de l’étude. Parmi quelques tendances les plus notables mises en exergue dans le rapport : 40% des personnes interrogées souhaitent consommer plus local, 27% envisagent réduire l’impact de leur consommation sur l’environnement, 23% souhaitent consommer de façon plus raisonnée, 18% veulent manger plus sain, plus bio, de saison, sans additifs et éviter les produits transformés. Enfin après le confinement, 31% comptent sortir plus régulièrement au restaurant, au bar, 23% faire un tour au marché, 22% voyager plus, continuer à jardiner, faire les boutiques et se mettre au vert (nature, randonnée, campagne).
La mode, principale victime du coronavirus
Pour la période de mars 2020, l’Institut français de la mode a annoncé une chute des ventes d’habillement de près de 60% par rapport à 2019 et de moins 13% pour les ventes en ligne. Le secteur déjà durement ébranlé risque d’avoir du mal à se relever. L’éditeur de logiciels Fastmag qui a commandé un sondage à Opinion Way réalisé du 22 au 24 avril 2020 auprès d’un échantillon de 1016 personnes, constate que le budget mensuel moyen que les Français ont prévu dans les 30 jours suivant la fin du confinement s’élève à seulement 62 €, soit une baisse de 24 € (moins 28%). « Dans le détail, les budgets les plus affectés sont les achats de vêtements qui passent de 46 € avant le confinement à 31 € après, soit une baisse de 33%, et les chaussures de 28 € à 19 €, soit une baisse de 32%. Le budget prévu aux accessoires diminue peu, à 12 € contre 13 € ».
Cette baisse de budget est plus forte pour les Français dont le revenu du foyer est compris entre 2000 € et 3499 € par mois : il passe ainsi de 86 € par mois à 47 €, soit une baisse de 45% tandis que les plus âgés, dont le revenu n’est plus lié à l’état du marché du travail, prévoient une baisse moindre (83 € avant le confinement contre 74 € après, soit une baisse de seulement 11%). Les contraintes financières et sanitaires ne sont pas les seules explications à ces restrictions selon cette étude. Sur le pourcentage des personnes interrogées comptant dépenser moins (45%), ils sont plus de la moitié (59%) à l’expliquer par des raisons financières, 42% parce qu’ils ont pris conscience pendant le confinement que certains achats n’étaient pas utiles mais aussi 35% à déclarer redouter d’aller en magasin à cause de l’épidémie.
Cependant, s’il faut relever un point positif dans ce sondage, les magasins ne devraient pas être totalement délaissés au profit de l’e-commerce au sortir du confinement. « Jusqu’à un quart des Français a l’intention de changer de canal d’achat pour chaque produit d’habillement après la fin du confinement. Cette réalité recouvre toutefois des dynamiques plurielles. Ainsi, si les vêtements sont les produits le plus concernés par la volonté de changer de canal d’achat, 10% des Français souhaitent réaliser davantage d’achat via internet, mais 15% souhaitent au contraire en faire davantage en magasin. Le même constat vaut pour les achats de chaussures – 9% veulent réaliser plus d’achat par internet, contre 13% en magasin, ainsi que pour les accessoires – 8% sur internet, 10% en magasin ». Parmi les jeunes qui sont les plus nombreux à envisager de changer leurs habitudes, 14% des moins de 35 ans comptent réaliser davantage d’achats de vêtements sur internet, mais 20% comptent en faire plus en magasin.
« On peut donc espérer un retour progressif vers une situation normale au cours de l’été. Nous pouvons également nous réjouir que le confinement ne favorisera pas un basculement vers le e-commerce au détriment des magasins. Cela aurait profité davantage aux pure-players e-commerce qu’aux enseignes. Pour autant, cette baisse du budget d’habillement, même si elle est temporaire, va être douloureuse pour les commerçants qui ont déjà eu à subir deux mois de fermeture pendant le confinement (…) », souligne Thibaut de Robien, directeur général de Fastmag, dans un communiqué.
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